HOMMAGE À MES PARENTS

mon père Louis Le Doze, (1907-1984)

appelé aussi Tadig

(photo Michel Gallot)

sa devise : "Custos, quid de nocte"

un sage, un honnête homme, un humaniste, un éclectique, bretonnant, latiniste, angliciste, germaniste, hispaniste, romaniste, helléniste, pour le plaisir,
anarchiste sur les bords, pour qui le monde était un terrain à découvrir, en rêve, en pages, en hommes et femmes de rencontre. Tendre et lucide...

Il m'a transmis la passion de la lecture, de l'écriture, de la connaissance, de la découverte, cette soif inextinguible, qui fait qu'on n'est jamais seul avec soi-même,
car de grands ancêtres nous ont précédés.

C'est de mon père que j'ai hérité Kerantorec où il avait été élevé par son grand-père Martial et sa grand-mère Julienne. Ayant appris le breton avant le français, il a toujours dit que ce bilinguisme lui avait permis d'apprendre mieux ensuite (il avait remporté des prix de français aux concours généraux lorsqu'il était élève à Saint-Yves à Quimper).

Quand il lisait un livre, il pratiquait déjà l'hypertexte : il lisait la table des matières, revenait à la préface, regardait à l'intérieur, butinait, allait chercher des documents complémentaires dans sa bibliothèque ou les revues et journaux qu'il rapportait de la Librairie Hachette (il y était veilleur de nuit) et faisait son miel de tout ce qu'il avait absorbé, il connaissait mieux le livre que nous qui l'avions lu en diagonale, mais finalement de façon linéaire. Lui il lisait dynamiquement. Et en plus il pouvait regarder la télé et faire des mots croisés...

une vision partagée


photo prise en 1979

Quand mon père a reçu la ferme de Kerantorec (alors en ruine) en héritage,
je suis venue ici avec ma mère et lui; ensemble nous avons ouvert la porte de la "cave" et j'ai dit :

" j'aime cet endroit, je le vois plein de livres",

il a dit "oui, comme la librairie de Montaigne".

Et c'est pour cette vision partagée qu'il m'a fait don de la plus ancienne partie de la ferme qui lui revenait à son grand âge. Quand on reçoit quelque chose d'aussi important, on se doit de le transmettre, si possible en meilleur état qu'on l'a reçu. Cela implique un grand sentiment de responsabilité et l'obligation de lutter contre vents et marées.

Je ne me sens pas propriétaire de ce petit domaine, mais dépositaire, un simple maillon de la chaîne, chargée de protéger un patrimoine qui contribue à la valeur de ma région.

J'ai fait mon bureau dans un des plus anciens bâtiments du village, un des plus anciens sites de la commune, le premier "penn-ti" où vivait toute la famille de mon grand-père, lui et ses frères et soeur sont nés là, près de l'étable dans la petite chaumière.

Maintenant j'y travaille la nuit près du feu de bois, comme Descartes "dans" son poêle, du moins Tadig aurait aimé le dire (voir la page : Le bureau de MH). Mon père m'encourageait à combattre avec ma "belle plume de Tolède". J'ai enfin tous les outils qui me permettent de m'exprimer librement, sans être tributaire d'une hiérarchie. Merci aux inventeurs géniaux qui ont permis le développement d'Internet, le vecteur de communication démocratique et libertaire que j'attendais depuis trente ans et qui me permet maintenant de publier ce que j'ai gardé secret tout au long de ces années, tout en "vivant au pays" comme on disait à l'époque du Larzac.

Mon père m'a donné surtout un patrimoine culturel solide, cette richesse intérieure qui permet de surmonter toutes les difficultés matérielles ou extérieures. Après sa mort, j'avais eu à vivre une épreuve d'initiation, le 1er août 1984 (voir page : mon EMA-NDE en août 84), cette nouvelle naissance m'aide à vivre tous les jours. J'avais appris de lui qu'on peut faire des choses difficiles et longues en remettant dix fois ou plus l'ouvrage sur le métier, un petit pas de plus tous les jours nous mène au bout du chemin, que ce soit pour défricher une lande épineuse ou pour gérer des dossiers difficiles... A son rythme !

 

Mammig

(les yeux vers le ciel)

photo : mhledoze

Ma mère Andrée Gallot (1916-1986), qui rêvait d'un monde meilleur,
un monde de fraternité, d'avenir, d'ouverture, un monde universel et infini.

Espérantiste, orientaliste, rosicrucienne un temps, cherchant des voies intérieures différentes, esthète (elle s'était mise à peindre à soixante ans), éprise de justice et d'égalité entre les sexes comme entre tous les peuples du monde, utopiste et réaliste, écologiste avant l'heure, elle s'est enthousiasmée toute sa vie pour des idées avant-gardistes, en rupture avec le milieu ambiant et les carcans sociaux en vigueur à son époque.

On a souvent tort d'avoir raison avant les autres. La plupart des idées qui lui étaient chères sont maintenant reconnues : non-pollution, santé plus naturelle, non-acharnement thérapeutique, pédagogie pratique, égalité des sexes, etc. Elle a été parfois mal comprise, mais les personnes qui l'ont aimée pensent toujours à elle (onze ans après sa mort) avec nostalgie, tendresse et admiration.

Quand elle avait vu mon frère Louis-Michel, voilier aux Antilles, préparer ses voiles sur son premier ordinateur (un petit Sharp du début des années 80) elle s'était enthousiasmée pour l'informatique, elle en voyait toutes les conséquences pour une meilleure circulation des informations et donc une meilleure compréhension des hommes entre eux ; certainement elle aurait adoré Internet comme je le fais moi-même.

Je lui rends grâces tous les jours de m'avoir appris la tolérance, l'estime juste de soi-même et le respect d'autrui. Pour elle, les vraies richesses étaient intérieures, la vraie noblesse celle du coeur.

Ma mère m'a aussi appris qu'on devait toujours aller au bout de ses idées,
quel que soit le prix à payer, si une cause est juste on doit se battre pour elle, même si on n'est pas compris tout de suite.
Car rien n'est définitif, tout est en évolution en ce monde.
Un petit miracle quotidien peut toujours arriver quand on croit que tout est foutu...
L'essentiel étant de rester soi-même, en accord avec sa conscience.

J'ai eu la chance d'avoir une mère biologique qui était aussi une mère spirituelle, elle m'a gardée de tout dogme et de tout sectarisme.

J'ai eu le privilège de conduire son enterrement, aidée par les éléments naturels, les plantes de son jardin, la terre et l'eau, le vent et le soleil, en communion absolue.

A l'heure où mes parents ont quitté cette terre, j'ai reçu les "intersignes" comme on dit ici en Bretagne.
Je n'étais pas près d'eux, mais j'ai su.

Pour Tadig, je me suis mise à chanter et j'ai éprouvé une joie très profonde qui m'a accompagnée pendant des mois, alors que je croyais que la perte de mon père serait l'expérience la plus difficile de ma vie.

Pour Mammig, j'ai été protégée avec mes enfants d'un accident de voiture qui aurait pu être fatal : après le choc, j'ai dit à mes filles : "Ne pleurez pas, nous n'avons rien, mais Mammig est partie..."

Je crois que je pratique le culte des ancêtres, les dieux-lares comme disait Tadig...
Grâce à mes ancêtres, j'ai les pieds sur la terre et la tête dans les étoiles.

Marie-Hélène Le Doze

(écrit début février 97)


Mes parents et la pédagogie
Le bureau de MH
travaux et justice
mon EMA-NDE en août 84
le toit du monde
Le printemps de KERANTORREC, 1999


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