Le Toit du Monde est notre toit

(écrit en avril 1998)

Pourquoi je me sens symboliquement concernée par l'histoire du peuple tibétain en exil comme je l'étais par les souffrances du peuple de Sarajevo

 

Je me sens concernée par le combat des tibétains pour des raisons spirituelles bien sûr,
bien que je ne sois pas bouddhiste, ni liée à aucune philosophie ou religion,
mais reliée à l'esprit de la terre oui, à ce qui nous dépasse oui, à l'infini cosmique oui,

mais j'y crois aussi pour des raisons plus personnelles et plus prosaiques :

comme les Tibétains en exil de l'autre côté de la frontière du Toit du Monde, je me sens moi-même en exil près de ma propre maison parce que le toit de la grange voisine s'est effondré et que ma vie et celle de ma famille (et amis et clients qui venaient dans ma chaumière si vivante et si chaleureuse) a été bouleversée en quelques heures en janvier 93.

J'ai perdu l'usage de mon lieu de vie , de mon lieu de travail et j'ai vécu cette précarité en même temps que le peuple de Sarajevo essayait de survivre dans l'indifférence politique générale.

J'ai failli craquer en mai 95. J'avais fait des kilos de dossiers inutiles. Je m'étais affrontée à l'administration aveugle qui ne voyait dans mon cas qu'un dossier de papier qu'on pouvait ouvrir entre les week-ends des responsables de service ou leur vacances alors que la dégradation de mon environnement insalubre, une dégradation de notre santé, l'impossibilité de travailler ne connaissaient pas d'interruption. Je suis devenue exilée dans ma propre vie. A chaque fois on me répondait : "on ne peut rien faire !" cette phrase là je l'ai tellement entendue que quand j'en ai lu l'équivalent dans la lettre de Kofi Annan, je me suis réveillée et je vous ai alertés pour le Tibet, vous mes lecteurs fidèles, devenant des amis autour du monde.

Le premier être humain que j'ai rencontré dans mon exil est un gendarme, deux ans et demi après le début des faits qui ont sinistré ma maison. Il était venu pour une histoire de pension alimentaire qui ne m'était pas payée (depuis 12 ans...). Horrifié de ce qu'il voyait, il a pensé aux enfants, aux droits de l'homme tout simplement, aux droits de chaque être humain à avoir un toit, un travail, la santé, la culture, les loisirs...

C'est ce même gendarme qui est venu quand j'ai découvert le cadavre de mon frère Bruno en septembre dernier, et cet homme derrière son uniforme a su trouver des mots de consolation. Je ne pensais pas qu'un jour je serais consolée par un gendarme mais c'est arrivé. Et il m'a donné le courage de continuer.

Et alors tout a changé. J'ai été soutenue par des amis qui m'ont permis de retrouver confiance en l'avenir, en mon projet de vie. Je me suis mise à reconstruire et j'ai retrouvé des forces qui m'abandonnaient.

J'ai dû aménager moi-même un bureau, cellule de moine d'où je vous écris ce matin, et développer d'autres routes que celles que j'avais envisagées auparavant.

Je ne souhaiterais pas ces années de galère à ma pire ennemie, mais peut-être à ma meilleure amie

car j'ai découvert en moi et autour de moi des ressources inexploitées.

Ces années ont été pauvres financièrement mais riches de solidarité, de rencontres, de diamants symboliques qui jusque-là étaient enfouis au fond de moi-même, de nous-mêmes puis-je dire maintenant en voyant le courage avec lequel Mélanie affronte maintenant l'accompagnement aux six grévistes de la faim tibétains et à leur compagnon qui s'est immolé pour son pays.

Nous avons découvert au cours de ces années de galère, ce que je pourrais appeler en sociologue : "la logique de l'extrême"...

Le tribunal statuera le 12 mai 98 sur l'affaire de mitoyenneté immobilière qui nous a tant humiliées depuis 5 ans ! Peu m'importe maintenant le résultat (il y a longtemps que je n'attends plus de solution de la justice, des politiques ou des administratifs ) car aucun dédommagement matériel ne remplacera nos souffrances, mais ce que j'ai acquis n'a pas de prix, je sais que je peux compter sur moi-même, sur mon propre travail, sur mes forces pourtant bien limitées mais qui ont été relayées par de bonnes volontés comblant le manque de financement. Je sais que mes filles ont acquis des qualités d'adaptation qui les accompagnera toute leur vie.

Mais l'équilibre est toujours précaire.

Oui quand le toit n'est plus étanche, la maison s'écroule, alors nous devons aider le Tibet, Toit du Monde à retrouver sa place, sa dignité, sa liberté : il y va de notre équililibre à tous.

En nous battons pour eux nous nous battons pour nous-mêmes et pour tous les peuples qui souffrent.

J'espère que les jeune tibétains qui n'ont pas connu leur pays garderont assez foi en leur culture et retrouveront leurs moteurs de vie, comme le peuple de Sarajevo a tenu grâce à son immense culture, comme j'ai tenu grâce à la conscience de mes racines bretonnes.

Mais si j'écris ceci c'est parce que dimanche, alors que je mettais en place cette campagne internet de mobilisation pour le Tibet, j'ai "revu" le Toit du Monde dans tout son éclat et il m'est apparu que tout pouvait changer très vite dans l'autre sens.

photo: melanie portet-le doze Dharamsala (04-98)

Malgré les critiques ou les dubitations (?) qui ne manqueront pas de se faire entendre devant ma candeur et ma naïveté, loin des tractations diplomatiques douteuses et mercantiles, loin des discours contre l'esclavage qui se contentent d'être des discours, loin des dossiers administratifs noyés dans des réglements contradictoires, je suis sûre maintenant qu'il sortira de l'histoire du Tibet un nouveau monde, de paix et d'harmonie, et nous devons y croire jusqu'à nos derniers souffles...

Thupten Ngodup, qui s'est immolé par le feu lundi à Dehli pour réveiller les consciences restera dans nos coeurs comme l'ont été Jan Pallach à Prague et Bobby Sands à Dublin.

marie-helene

30 avril 98

la greve de la faim des tibetains

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