Mes parents et la pédagogie

écrit en février 1997

Mes parents avaient une pédagogie très libérale.

Jamais, par exemple, ils ne nous ont aidés à faire nos devoirs, sujétion pour la plupart des parents, car ils considéraient que nous devions travailler pour nous et non pas pour eux, mais ils nous ont donné le goût d'apprendre. Ils étaient là pour répondre aux questions et nous guider dans nos recherches. Ils ne nous ont rien appris de façon didactique ou encyclopédique, mais ils nous ont appris à apprendre, c'est-à-dire à aller chercher l'information dont nous pouvions avoir besoin.

Ils croyaient plus à l'exemple qu'aux leçons de morale. Leur pédagogie étaient spontanément fondée sur la confiance.

Nous avons toujours fait ce que nous voulions, car mon père avait trop souffert d'être obligé de travailler dans la grosse affaire de vins et spiritueux de son père avec deux de ses frères alors qu'il aurait fait un excellent professeur de philosophie... En aucun cas mes parents ne se seraient permis d'intervenir dans nos choix d'orientation.

Jamais d'ailleurs ils ne nous ont imposé leurs propres convictions, mais ils nous ont permis de nous confronter à tous les points de vue : à l'époque où il était veilleur de nuit, (sa devise : "Custos, quid de nocte", "Veilleur, où en est la nuit ?" devise qui pourrait être la mienne), mon père rapportait des NMPP (Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne) toutes les publications, et nous lisions aussi bien Minute que Hara-Kiri ou Charlie-Hebdo, le premier permettant encore mieux d'apprécier les seconds...

Cette liberté peut avoir son revers, car aucun d'entre nous n'a fait les belles carrières qu'ont fait certains de nos cousins, poussés comme des bêtes de concours, devenus énarque, chirurgien, professeur ou autre... Nous n'avons vraiment pas appris à faire de l'argent, c'est même un handicap social, mais personnellement j'ai le sentiment de réussir ma vie tous les jours, car mes plaisirs sont simples et non moneyables.

J'ai vécu à fond toutes mes passions, tous mes délires, j'ai toujours osé être moi-même et je n'ai ni regret ni frustration, ce qui fait que je peux me satisfaire de très peu, du moment que j'ai l'essentiel, un environnement naturel, un air sain, le calme et de la nourriture livresque (ou électronique) à me mettre sous la dent.

Je ne voudrais pas qu'on croie que nous étions toujours d'accord, j'ai parfois claqué les portes en discutant avec ma mère, mais je l'ai fait de son vivant, j'ai réglé mes comptes avec elle directement. Et ça fait toute la différence du monde.

Je constate plusieurs années après leur mort que mes parents nous avaient élevés de façon à nous adapter à tous les changements de civilisation de fin de millénaire, et à trouver notre sens nous-mêmes, ce n'est déjà pas si mal.

 

Mes enfants et ma pédagogie

En fait je voudrais un monde où chacun serait conscient de la responsabilité de ses actes, où chacun pourrait faire ses expériences en essayant de nuire le moins possible à son environnement et à son prochain,

un monde qui serait ... comme l'éducation que j'ai donnée à mes filles, pas des ordres, mais des suggestions en fonction non de mes besoins mais de leurs aptitudes...

enfin c'est la conclusion à laquelle est arrivée Mélanie lors de notre discussion sur le vote du 1er juin ou à propos du Chiapas et des zapatistes qu'elle est allée retrouver en Espagne cet été.

Ça m'a fait plaisir.

Utopique oui, il n'y a que l'utopie qui m'intéresse.

J'ai élevé mes filles comme je fais mon jardin : j'arrose au début quand je plante, puis plus du tout, laissant les racines trouver elles-même leurs ressources sous la terre (j'ai été une mère poule pendant les premiers mois de la vie de mes filles, ne faisant que ça au début, m'occuper d'elles, puis peu à peu comme les mères chattes, je les incitais à sortir du panier).

Ensuite je regarde, j'observe, si la plante s'étiole, je vais saturer d'eau autour du pied de la plante (nourriture intellectuelle et spirituelle qu'elles peuvent digérer à leur rythme) et puis élaguer un peu ou enlever ce qui déborde à proximité (conseils que je leur donne seulement quand elles me les demandent, jamais avant)...

Le résultat est vraiment pas mal, pour le jardin comme pour mes filles...

Mes parents


Copyright : Marie-Hélène Le Doze (tous droits réservés)


Post-Scriptum le 10 octobre 1997

Un mois après la mort de mon frère Bruno, je remets beaucoup de choses en question :

Je réalise que l'éducation que j'ai reçue, il ne l'a pas comprise comme moi. Dans une fratrie aussi étendue, l'ainé était né en 1937 et le dernier en 1957, chacun digère l'éducation reçue selon des critères tellement différents, ici à cheval sur deux civilisations, avant et après la guerre.

J'avais cru que l'amour pouvait protéger de tous les écueils de la vie, mais je m'aperçois que Bruno n'a pas reçu l'amour que sa famille lui prodiguait.

J'avais respecté son choix quand il est allé chercher du côté des stages de développement personnel dont la qualité littéraire laissait pour moi à désirer. Je ne me serais jamais permis de lui donner un avis qu'il ne me demandait pas. J'attendais pour voir le résultat, pensant que chacun doit aller au bout de son chemin.

Le résultat est que le chemin de Bruno s'est achevé au cimetière à un âge où il avait encore peut-être bien des routes à parcourir...


Souvenir de Bruno Le Doze (57-97) Bruno et ses plantes aux Saintes (Antilles)

Le toit du monde

La grêve de la faim des tibétains : Mélanie témoigne (printemps 98 Inde)

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