Mon mai 68, histoire de remettre un peu d'imagination au pouvoir et se souvenir que ça a été une fête des têtes, des corps et des coeurs !

trois jours dans la cage de verre de la trésorerie de la Sorbonne libre à Paris en mai-juin 68,
ou comment j'ai vécu la révolution
, une idée de l'ambiance sous un angle intimiste

J'ai retrouvé quelques notes de l'époque, je vous les livre intactes, sans discours.
Il parait que les soixante-huitards, dont finalement je suis, sont des gens qui ont choisi le pouvoir, la carrière...
Je ne me sens pas concernée par ces routes-là mais dans ma vie j'ai gardé l'espoir d'un monde meilleur.

Un monde où l'être humain retrouverait sa place légitime. Un monde d'utopie vivante !
La société, chacun d'entre nous la construit tous les jours ! Alors tout est encore possible !

faites l'amour pas la guerre
© James Chevreuil Nantes 68

crédit photo : James Chevreuil 68-98-2008

 

 

Cette photo représente bien mon mai 68 à moi, je porte les insignes vestimentaires de l'époque, le premier blouson Cacharel, le pull shetland, le jeans Newman, les tennis, le casque de manifestant, mais je me mets en position de yoga, non-violente.

Je ne suis jamais allée aux manifs, sauf à celle du 13 mai, parce que je savais qu'il y aurait trop de monde pour que les flics donnent l'assaut.

Je remarque aussi qu'à l'époque on ne craignait pas les décors en fausses pierres, comme dans la photo du Buci prise par Jacques Morpain en septembre 67.

Depuis, j'ai choisi de vivre auprès de vraies pierres.

 

 

 

 

En 68, après l'époque du Pot de Fer, je vivais rue Visconti, non loin du Buci, dans un atelier d'artiste, chez Michel Bablon, malgache, guévariste. Il a pris part à l'occupation de la Sorbonne, a organisé le comité d'occupation, avec le soutien des Katangais, est sur la même ligne que les dirigeants à la manifestation du 13 mai dont est extrait le portrait du trio Geismar, Sauvageot, Cohn-Bendit, mais n'a pas été mis en avant parce que sa nationalité malgache le menaçait d'expulsion immédiate comme Daniel C-B. Il était partisan de la violence, et n'a pas été suivi. C'est la voix de Bablon à la radio qui, se croyant encore aux journées de juin 1848, appelait les parisiens à la révolte lors de la prise de la Sorbonne par les CRS !

(photomaton prise au moment du comité d'occupation, mais passé par inadvertance dans la lessive d'un jeans Newman en velours marron à grosses côtes, origine garantie !)

 

Bablon était pour la guérilla urbaine sur le modèle du Che, et s'entraînait à la vie de maquis en se dépouillant de ses biens dormant sur un lit de camp comme Guevara, j'avais un point en ma faveur : j'étais asthmatique comme le Che ! Michel m'avait donné un porte-bonheur que j'ai eu longtemps dans mon sac : une balle, il disait que le nom du CHE s'inscrivait dans la forme d'une balle...


Après les évènements, il est parti à l'étranger, en Angleterre, en Inde, puis en Chine, à Cuba et en Algérie, le parcours des combattants.

Plus tard un militant de Vincennes a prétendu que Bablon était inconnu des "vrais" militants, mais je sais que Michel a passé toutes ses journées et ses nuits à la Sorbonne puis à Censier. Je ne crois pas avoir tout rêver.

J'ai encore le répertoire de téléphone de Bablon pendant cette période et j'y vois des noms comme Chalit, Vigier, Peninou, Dany C, Depaqui, Alain Jouffroi, Alain Krivine, Cleop, coordination Intervention Rapide, FEN, SNESUP Geismar...

Ma soeur s'en souvient aussi, elle qui a appris en août 68 que le pot de fer avait servi de planque à une radio clandestine, ce qui lui aurait valu trente ans de taule en cas de perquisition.

Je sais aussi que Bablon préparait cette guérilla depuis des mois, avec les réseaux castristes et que le 22 mars 68 j'ai voulu mourir parce que je me sentais exclue de sa quête au profit d'une certaine Gina cubaine qui l'accompagnait à Nanterre.

J'ai eu entre les mains un dessin de Roberto Matta, dédié "aux étudiants", que nous étions allés chercher dans son atelier de campagne. Je ne sais ce qu'est devenu ce dessin qui doit valoir des fortunes maintenant, mais je l'ai encore bien dans ma tête.

Je servais de lien entre le Grand Orient de France et le Mouvement Révolutionnaire dont j'étais trésorière. Mais tout cela était clandestin et je n'en ai plus de traces. Nous avons détruit beaucoup de documents en juin, craignant toujours une descente de police dans l'atelier de la rue Visconti.

j'ai des notes prises en écoutant les ag de la Sorbonne, ou en interrogeant les militants sur leur parcours, mais je n'y comprends plus grand chose, je m'y replongerai peut-être dans vingt ans pour les 50 ans de mai 68, mais je comprends bien les notes prises sur mes amours de l'époque... cette soif jamais ressentie


Michel pensait qu'il finirait sa vie devant un peloton d'exécution. Délires, fantasmes ?
J'ai dû le voir pour la dernière fois en février 72, juste avant de revenir en Bretagne enterrer ma Mamm-Goz (grand-mère en breton). Il garde une place privilégiée au fond de mon coeur, le premier homme avec qui j'ai vécu, lui qui ne voulait pas que je m'attache à lui puisqu'un militant ne vit que pour la révolution.

Il m'a inspiré le personnage de Pierre dans aquamarine. Trente ans après j'ai enfin réussi ce que je désespérais alors : le détachement. Je ne suis plus liée qu'à mes enfants. Plus de mecs dans ma vie, que des macs (en clair mes Macintosh - marque déposée par Apple -), la liberté retrouvée au quotidien ! Je n'ai de compte à rendre qu'à moi-même...

Et je suis toujours ici en Bretagne où je m'étais réfugiée mi-juillet quand les délires érotico-militants sont devenus insupportables, recueillie dans un état lamentable par mon oncle Francis Le Doze, médecin à Saint-Julien-de-Vouvantes, (le grand-père de Guenaël qui loue la maison de Bruno).

Veuf depuis quelques mois, il ne m'a pas posé de questions, il m'a seulement dit : "tiens voilà, il y a ma documentation médicale à classer, tu fais ce que tu peux, tu restes autant que tu veux." C'est pas libertaire ça ? J'ai passé des moments extraordinaires avec cet oncle fort en gueule si différent de mon père toujours délicat et discret, mais aussi épris que lui de culture et d'ouverture d'idées.

Francis était aussi maire de son pays pays et conseiller général de Loire-Atlantique, mais surtout il avait été celui qui avait poussé dans la politique Bernard Lambert, le paysan qui a créé ensuite le syndicat des Paysans-Travailleurs, et Lambert avait joué un rôle important à Nantes en mai-juin 68, Nantes-la-Rouge, fief aussi de Gaby Cohn-Bendit, le frère de Dany, qui a ensuite créé le lycée très spécial de Saint-Nazaire. C'est pour ça qu'en septembre je me suis inscrite à la fac de Lettres de Nantes et c'est là qu'ont été prises les photos de cette page, par James Chevreuil, étudiant en pharmacie en octobre 68, parti ensuite au Biafra (avec Bernard Kouchner...) qui vient de me les réexpédier et m'autorise à les reproduire ici.

© James Chevreuil Nantes 68© James Chevreuil Nantes 68

Mais quand j'ai appris que le Centre-Universitaire-Expérimental-de-Vincennes (CUEV) ouvrait ses portes, je suis rentrée à Paris pour participer à une nouvelle université, basée sur des rapports différents entre "enseignants" et "enseignés" (j'avais vu pour la première fois dans un tract de la Sorbonne en mai 68 l'utilisation nominale d'adjectif et adverbe, surprise de l'évolution de la langue, qui cassait le monde du savoir autocratique et mandarinal).

Nous avons mis sur pied de nouvelles méthodes de travail, en groupe notamment et j'avoue que trente ans après je suis très fière d'avoir été pionnière de Vincennes. Je m'étais tellement ennuyée à la Fac de Droit et à la Sorbonne traditionnelle que j'ai rattrapé le temps perdu et de 69 à 72, j'ai fini trois licences et une maitrise. J'ai enfin pu apprendre, en désapprenant à apprendre, avec un plaisir qui ne m'a (presque) jamais quittée. C'était très excitant, à tous points de vue...

Et il y avait le décor : les bâtiments modernes, les meubles style Knoll, le matériel audio-visuel, une trop belle vitrine que certains se sont empressés de démolir ou de piquer, mais moi ce que j'aimais c'était la proximité du bois, le bassin au milieu et à la belle saison les cours qu'on pouvait suivre dehors. Oui j'ai de très bons souvenirs de Vincennes.

Et le mot, qu'avait eu Jean-Claude Rabinovitch du Comité d'Occupation de la Sorbonne en juin 68 pour décrire l'activisme de Michel et Philippe, est devenu vrai en janvier 69 :

"les maquisards du Bois de Vincennes"...

Suite dans les années qui viennent... ou biographie sommaire, quand j'aurai le temps pour ça !

marie-hélène Le Doze (dite Gaëlle)


faites l'amour pas la guerre (1998)
cette soif jamais ressentie (trois jours début juin 68 à la sorbonne libre)
message sur mai 68 en 1998
les fresques de nanterre
la chienlit c'est lui
Telerama : article de Gérard Pangon en mai 1998

la photo du Che par Alberto Korba en 67 (sur une émission sponsorisée par Apple en 1998)
Un Souvenir de Roberto Matta en mai 68 Paris



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