Des tibetains en greve de la faim
Hunger Strike unto Death (photo)
C - CE QU'EN PENSE LE DALAÏ-LAMA
1) Position du chef spirituel
Le dalaï-lama, à la demande du T.Y.C., a accepté
de ne pas intervenir, et de les laisser poursuivre la grève de
la faim. En tant que moine bouddhiste, il ne peut néanmoins
pas concevoir une telle démarche.
Ainsi, à plusieurs reprises, par des communiqués ou
directement à la presse , il affirme sa position :
"Je considère la grève de la faim jusqu'à la
mort, comme une forme de violence. Je suis contre toute forme de
violence, qu'elle soit contre soi-même ou autrui. "
En effet, selon la loi bouddhiste, toute atteinte à la vie,
est une violence. Ainsi même un suicide est une violence. En
outre cette grève de la faim, pourtant lente, laissant aux
personnes visées par cette action le temps d'intervenir, reste
un suicide puisque les grévistes sont prêts à se
laisser mourir. Quant à l'immolation de Thupten Ngodup, elle
l'est de fait par cette atteinte délibérée
à sa propre vie.
Précisons le bouddhisme s'oppose à toute forme de
violence, particulièrement la violence qui porte atteinte
à la vie humaine. Le bouddhisme définit la perfection
par l'Eveil , permettant d'atteindre l'état de "Bouddha "
(Éveillé), et de rejoindre le Nirvana . Suivre
consciemment le Dharma (les enseignements de Bouddha) est un moyen
efficace d'y parvenir. Parmi les différentes catégories
d'existence , l'être humain a la possibilité de le
réaliser consciemment. Sa vie est par conséquent
précieuse. C'est en accord avec cette démonstration,
que tout bouddhiste se doit de maîtriser ses émotions,
même à l'égard d'un oppresseur, tel la Chine.
Lors d'un colloque à Bordeaux en 1993 , le dalaï-lama
argumente cette thèse :
"Je crois que la nature fondamentale de l'être humain est la
douceur et la compassion. Il est donc de notre propre
intérêt d'encourager cette nature, de la faire vivre en
nous, de lui laisser une place où se développer. Au
contraire, en utilisant la violence, c'est comme si nous freinions
volontairement ce côté positif de la nature humaine et
empêchions son éclosion. () Une fois que la violence
prend le dessus dans une situation, les émotions ne sont plus
contrôlables. C'est dangereux car cela mène à la
tragédie."
Il illustre ces propos par les exemples des deux guerres mondiales,
et récemment de la Bosnie.
2) Position du chef temporel
Le dalaï-lama est, non seulement chef spirituel, mais
également chef temporel. Depuis l'invasion chinoise, il exerce
cette responsabilité à Dharamsala. En exil, il
contribue à préserver l'identité des
tibétains et à tenter de les libérer du joug
chinois.
Pour défendre la cause des tibétains, sa
démarche est fondée sur des échanges
diplomatiques avec les chefs d'États et personnalités
du monde démocratique, tels Bill Clinton depuis quelques
années, François Mitterrand en 1993, mais aussi Lee
Teng-Hui, président de Taïwan en 1997. Précisons
que ces rencontres sont régulièrement
altérées par la pression chinoise. Mais, le
dalaï-lama révèle, lors de sa visite en France
à l'Assemblée nationale, en juin 1998, "avoir des
relation non-officielles" avec son oppresseur de longue date. Des
négociations seraient en cours.
Cette démarche non-violente a été
récompensée par la remise du prix Nobel de la Paix, le
11 décembre 1989 à Oslo.
Le chef temporel, comme spirituel, ne peut cautionner une action
violente. Cependant, il reconnaît que dans l'immédiat il
n'a pas d'autres solutions à proposer. Il déclare
à propos des grévistes :
"Je n'ai pas de suggestion à leur offrir, pas d'autres
méthodes alternatives" ; ajoutant, "je
me sens en dilemme. Je ne sais pas quoi faire. "
Par cette déclaration, le dalaï-lama, même s'il est
sûr que sa démarche porte ses fruits à long
terme, montre son incapacité à apporter une solution
effective dans l'immédiat. Il reconnaît son impuissance
à maîtriser la situation actuelle. Cet honnête
aveu de faiblesse est rare pour un représentant politique.
3) Il "dmire leur détermination et leur
courage."
Malgré ces opinions divergentes, le dalaï-lama "dmire
leur détermination et leur courage." Alors qu'il est de
passage à Delhi pour prendre l'avion vers le Japon, il
manifeste au T.Y.C. son désir de rendre visite aux
grévistes, les organisateurs lui conseillent de ne pas venir
car ils ont peur qu'il les incite à abandonner. Suite à
cette réponse, le dalaï-lama affirme :
"J'ai senti une sorte de responsabilité morale ; je devais
montrer mon admiration pour ces tibétains
déterminés, poursuivant une action dramatique,
prêts à sacrifier leur vie pour le
bénéfice de la cause tibétaine. "
En ce qui concerne l'immolation de Thupten Ngodup, "Sa
Sainteté" déclare le 28 avril 1998 :
"Hier, nous avons été témoin du plus
regrettable événement d'un tibétain
s'immolant lui-même. Je suis profondément triste de
cela. "
Cependant le dalaï-lama voit dans cet acte un sacrifice comme il
emploie lui même le terme (plus haut), pour le bien du peuple
tibétain. Il déclare :
"ls étaient prêts à mourir, non pour des fins
personnelles, mais pour les droits des six millions de
tibétains et la survie de leur culture. "
Ce qui confirme le sentiment de vénérable Lobsang
Jimpa, que la pure motivation de l'acte de Thupten Ngodup lui
épargne une trop mauvaise réincarnation.
Le dalaï-lama explique de tels débordements par le
sentiment de frustration des tibétains :
"Pendant de nombreuses années, j'ai été capable
de persuader le peuple tibétain d'éviter la violence
dans notre lutte pour la paix. Aujourd'hui, il est évident
qu'un sentiment de frustration et d'urgence se développent
parmi de nombreux tibétains, manifestement par la grève
de la faim jusqu'à la mort, et le tragique accident
d'hier."
Il ajoute : "Cette frustration contenue du fait que le peuple
Tibétain, avec leur unique héritage, a
été peu à peu effacé de la face de la
terre. " Et poursuit, en glissant un message : " C'est une
tragédie pour le monde entier car la culture tibétaine
a un formidable potentiel à offrir au monde, pour des millions
de chinois frères et soeurs. "
On reconnaît, là encore, la diplomatie du
dalaï-lama, face au peuple chinois, lui adressant
discrètement un message de paix.
Développons un peu cette notion de "frustration" des
tibétains.
La souffrance du peuple tibétain est une
réalité, que l'on peut difficilement remettre en cause.
Quelques jours passés à Dharamsala suffisent pour s'en
apercevoir, rencontrant nombre de tibétains traumatisés
aussi bien physiquement que moralement par l'oppression chinoise :
les anciens prisonniers, les orphelins etc. Sans oublier ces jeunes
qui, nés en Inde, mais de culture tibétaine, attendent
de connaître un jour leur pays, ils ressentent tous la
frustration de ne pas pouvoir assumer leur identité, de ne pas
être reconnus.
Depuis bientôt cinquante ans, le peuple tibétain survit
dans cette souffrance. Vénérant leur maître
spirituel, qui les guide sur le chemin de l'éveil, ils
partagent sa conception non-violente. En effet, lors des entretiens
avec les tibétains, tous me citent des phrases d'enseignement
du dalaï-lama. La " frustration " proviendrait du fait que, dans
le fond, ils suivent la voie bouddhiste, mais dans la forme, leur
souffrance est telle qu'ils la maîtrisent difficilement ;
même s'ils sont sur le chemin qui mène au
détachement, ils sont humains avant tout, sensibles et
vulnérables.
Même si le dalaï-lama est confiant sur l'issue du sort du
peuple tibétain, les tibétains, eux, ne voient pas de
résultats convaincants. Aussi tentent-ils d'autres moyens
d'action. Ces deux entités, le dalaï-lama et la
communauté tibétaine, dans leurs particularités,
font la force du peuple tibétain en exil sur la voie de la
libération.
© tous droits réservés Mélanie Portet-Le Doze-Maitrise d'Ethnologie98 Université Paris-8 Saint-Denis (FR) Contact Mˇlanie