Des tibetains en greve de la faim

Hunger Strike unto Death (photo)

plan du camp

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 C - AU JOUR LE JOUR AUPRÈS D'EUX

  1) Le matin

Le matin, tout le monde se réveille presqu'avec le soleil, vers six heures. Le camp se réveille doucement. Les enfants indiens ne gambadent pas encore partout. Les rayons du soleil ne sont pas trop agressifs. C'est un des rares moments supportables de la journée.

Les grévistes qui en ont la force réussissent à aller jusqu'à la pompe à eau, à une dizaine de mètres pour la toilette. Les matins où je suis là, il s'agit de Madame Palzom et de Monsieur Kunsang, étonnamment, (peut-être pas d'ailleurs?) ce sont les plus âgés, les plus résistants. Jusqu'à la fin, ils parviennent à se laver eux-mêmes : sur une photo, on peut apercevoir Mrs. Palzom, accroupie, en train de se laver les cheveux, à une quarantaine de jours de jeûne. Les femmes les aident à se laver, à se brosser les dents.

J'arrive au camp vers neuf heures, parfois plus tôt. Un matin, en arrivant, j'aperçois Karma qui a enfin réussi à se lever, il tente un sourire, puis continue d'avancer péniblement vers une bâtisse en bois servant de latrines. Il est de plus en plus faible.

Chaque jour, une revue de presse est réalisée : achat des journaux indiens et photocopies des articles, qui sont affichés à l'entrée de la tente. Tout se fait calmement, sans précipitation. Ils vérifient simplement l'écho dans les journaux, attendant une réaction des Nations-Unies avec qui ils parviennent à établir des contacts (ce sera développé en troisième partie).

Les visites continuent. Un matin, un ancien et vénérable lama vient leur offrir sa bénédiction. Plus personne ne parle en sa présence. Tout le monde s'incline. "C'est un grand lama", me dit Tentzing.

Des photographes viennent de temps en temps prendre des clichés. En dix minutes, ils mitraillent les grévistes sous toutes les coutures et repartent.


  2) L'après-midi

Delhi connaît une incroyable canicule pour un mois d'avril. Le thermomètre peut atteindre facilement les 40° à l'ombre. L'état de santé des grévistes s'en ressent. À la fin du mois, seuls madame Palzom et monsieur Kunsang sortent de la tente. Aidés, ils peuvent marcher un peu, pour aller s'asseoir à cinq mètres de la tente, sur un lit tressé. (cf. photos). Dawa Tsering sort de temps en temps. Tandis que Dawa Gyalpo, Karma et Yungdrung ne quittent plus leur lit, ils n'ont même plus la force de s'asseoir en tailleur pour dire leur mantra.

Ils sont de plus en plus faibles. L'optimisme et l'espoir qui se dégageaient du camp jusqu'alors par leur force et leur sourire, s'estompent de plus en plus.

Le 22 avril, quarante-quatrième jour  , Karma déclare difficilement à une caméra : 
"Nous sommes maintenant en grève de la faim depuis 44 jours, et depuis, nous n'avons pas de réponse, mais j'apprécie tous les soutiens non gouvernementaux et parlementaires qui nous soutiennent, j'apprécie vraiment cela. C'est très important de nous soutenir et ce que nous demandons à l'O.N.U., pour mettre une pression à l'O.N.U.. (...) Aujourd'hui nous sommes en grève de la faim depuis quarante-quatre jours mais nous n'avons pas reçu de lettre correcte de Kofi Annan. C'est très triste que Kofi Annan ne peut pas répondre à nos trois demandes. Donc c'est très important de répondre à nos trois demandes, sinon nous continuons cette grève de la faim et nous allons mourir et aussi beaucoup de tibétains vont mourir..."
Après ces quarante-quatre jours de jeûne, Karma, malgré sa difficulté à parler, parvient correctement à élaborer une pensée et à la communiquer.

Que d'attente depuis le 10 mars, sans réponse concrète à leur demande. L'espoir se transforme en peur. Sans que personne ne dise rien. L'angoisse se ressent.

Le quarante-cinquième jour, Karma a de la fièvre : 102°Farenheit.

Le quarante-sixième jour, Dawa Gyalpo est très faible et passe par différents niveaux de conscience, ayant des pertes de connaissances fréquentes.

Le quarante-septième jour, deux médecins, envoyés par le gouvernement indien,  rendent visite aux six grévistes. Après les avoir examinés, ils déclarent que, les grévistes de la faim, mettant délibérément leur vie en danger, sont maintenant en train de commettre un suicide, ce qui est illégal sous la loi indienne.

Deux policiers viennent voir Tseten Norbu et le préviennent qu'ils devront les emmener à l'hôpital. Ils conviennent de venir prochainement


  3) le soir

En attendant... En début de soirée, au coucher du soleil, les femmes préparent des fumigations de tsampa . Ces fumigations sont censées "purifier l'atmosphère " ; contre les microbes ou les mauvais esprits ? elles ne le précisent pas ; peut-être est-ce la même chose? Elles préparent un feu. En gardent seulement les braises et y saupoudrent de la tsampa. Une fumée très odorante se dégage. Puis, quand la fumée disparaît, elle déposent des petits sachets peut-être de tsampa , dans des louches contenant du ghee  qu'elles laissent chauffer sur les braises. Ensuite, elles déposent ces petits sachets chauds au beurre sur le crâne des grévistes. Là, elles me demandent de sortir de la tente, car elles vont leur masser le corps avec du beurre. Elles m'expliquent que ces massages les fortifient. J'imagine que cela était couramment pratiqué sous le froid du Tibet. Mais sous la chaleur de Delhi, quels en sont les effets ? Ce corps gras nourrit leur peau.

Il est vingt-et-une heures, nous sommes le 27 avril, quarante-septième jour de jeûne. Les médias ont été prévenues de l'arrivée de la police. Les caméras, les journalistes de presse, Françoise Chipaux du Monde est là ; Jean Piel également, de Radio France Inter, Culture, et Internationale, ainsi qu'un photographe de l'A.F.P., en ce qui concerne les médias français. Une quinzaine de journalistes sont présents. Des télés sont là également. Tout le monde  attend. Les caméras sur l'épaule, les pellicules de rechange, le bloc-note en main, tout le monde est prêt.

Tout le monde attend... et la police ne vient pas. Les médias s'impatientent. Ils ont d'autres rendez-vous, dîners... et finalement s'en vont. Tout le monde se dit qu'ils viendront demain. Pourquoi demain? Je ne sais pas. Tout le monde se dit que ce soir c'est trop tard. Ah!... Je reste un peu, vais manger à Connaught Place, à dix minutes à pied, avec Hansa ; puis nous revenons, restons un peu. Le campement est calme. Tous s'apprêtent à dormir. Alors nous nous décidons à quitter les lieux. Il est vingt-trois heures trente.

Toujours cette attente ! De réponses des gouvernements, de l'O.N.U.. Aujourd'hui attente mêlée à la peur de la violence de la mort, si proche pour ces six tibétains, déjà si réelle pour le peuple tibétain. Et là, attente de la police...

Combien de temps vont-ils encore attendre et jusqu'où les mènera ce mouvement ?


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© tous droits réservés Mélanie Portet-Le Doze-Maitrise d'Ethnologie98 Université Paris-8 Saint-Denis (FR) Contact Mˇlanie

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