Des tibetains en greve de la faim
Hunger Strike unto Death (photo)
3)...s'installent à Jantar Mantar
Les six grévistes, encadrés par les dirigeants du
T.Y.C., s'installent dans un campement à Jantar Mantar.
plan du camp Ce lieu est proche de
Connaught Place, quartier des affaires, proche également d'un
petit parc fleuri où des indiens de classe sociale
aisée viennent se délasser.
Jantar Mantar est avant tout le lieu de revendication de Delhi. Ainsi
s'y rassemblent des chauffeurs d'autorickshaws demandant je ne
sais quoi, une dizaine de bouddhistes indiens réclamant la
gestion d'un temple bouddhiste à Bodhgaya jusqu'alors
appartenant aux hindous... Bref, toute protestation se revendique
là-bas. Certains ne font que passer une journée,
d'autres restent jusqu'à satisfaction des demandes. C'est le
cas des bouddhistes indiens : ils ne font rien de spécial, ils
sont juste là, vêtus de leur robe safran, à lire,
allongés sur leur lit tressé, sous une tente. Il semble
qu'ils ont toujours été là. Partout
également des familles indiennes vivent à même le
sol, ou sur le trottoir. Je ne sais s'ils attendent quelque chose de
l'Etat, ou s'ils vivent simplement sur ce terrain libre. Ne parlant
pas hindi, eux ne parlant pas anglais, je ne parviens pas à
avoir de réponse. Les femmes tirent de l'eau à la
pompe. Les enfants jouent, courent et rient à travers tout le
camp.
À côté du campement, sur le trottoir, est
installée une tibétaine d'une soixantaine
d'année, Sonam Dekyi. Elle vit là, par terre, sous une
bâche en guise de toit, depuis début juin 1997. Elle y
fait signer des pétitions pour obtenir la libération de
son fils Ngawang Chomphell, étudiant en musique aux
Etats-Unis, ayant obtenu la bourse Fulbright. Accusé
d'espionnage, pendant qu'il faisait des recherches sur les musiques
et danses traditionnelles, il a été
incarcéré au Tibet en septembre 1995 et condamné
à y rester 18 années. Sa mère ignore où
il est détenu et s'il est même encore en vie.
A l'entrée principale du camp se dresse la tente des
grévistes de la faim, faite d'une armature de bambou, portant
une bâche de plastique bleu. Des banderoles aux couleurs du
T.Y.C., jaune, vert et rouge y sont suspendues, affichant : "hunger
strike unto death ", et "U.N.O. we want justice" , aux
couleurs de l'O.N.U., bleu et blanc.
A l'intérieur, les six volontaires sont installés sur
des lits faits de planches de bois et de minces matelas. Ils ont
chacun une moustiquaire. Assis en tailleur sur leur lit, leur mala
à la main, récitant toujours "om mani padme
hum...om...". Ils sont prêts à mourir, si personne ne
réagit à leur cause. Ainsi, ils attendent sous l'oeil
de Gandhi et du dalaï-lama. Leurs portraits sont au centre de la
tente. Celui du dalaï-lama est installé sur une
chaîne sur laquelle il est formellement interdit de s'asseoir :
des katas l'entourent et l'entravent, elle est sacrée depuis
que "His Hollyness " s'y est assise lors de sa visite au camp.
Le portrait de Gandhi est posé sur une table à
côté.
Les organisateurs, membres du T.Y.C. et de nombreuses personnes les
encadrent. Des tibétains fidèles restent tout le long
de la grève, des tibétains solidaires manifestent leur
soutien par des relais à leur côté de
jeûnes de 48 heures, parfois de cinq jours, et des
"occidentaux" passent plus ou moins longtemps.
B - LES SOUTIENS
1) Les tibétains fidèles
Les responsables du T.Y.C. présents, Tseten Norbu,
président, et Pema Lhundup, secrétaire adjoint, munis
d'un téléphone portable, sont joignables à tout
moment. Ils vérifient que tout se passe bien, gardant le
contact avec le siège du T.Y.C. à Dharamsala où
parviennent les messages et d'éventuelles réponses de
l'O.N.U..
Plusieurs femmes se relaient, elles sont quatre ou cinq en
permanence. Elles s'occupent des grévistes, les aident
à faire leur toilette le matin, leur posent des carrés
de serviette éponge humide sur le crâne pour qu'ils
supportent mieux la chaleur.
Un peintre, à la demande des organisateurs, est venu
réaliser les portraits des six grévistes . Il le fait
de façon bénévole, &laqno; c'est ma façon
de les soutenir », dit-il. Arrivé presque qu'au
début de la grève, il reste plus d'un mois à
leur côté. Tous les jours, étant tout proche
d'eux, une certaine "connection" s'établit avec eux,
essaie-t-il de m'expliquer.
Deux jeunes d'une vingtaine d'années, Tentzing et Pokra, se
disent, avoir &laqno; de la chance d'être là, à
être utiles. » Ils transmettent les informations de la
grève au camp tibétain de Delhi, Majnu-Ka-Tilla.
Certains, inscrits sur la liste des éventuels prochains
grévistes, sont déjà au campement, c'est le cas
de Thupten Ngodup, qui asperge d'eau le sol poussiéreux.
Certains aident les grévistes à sortir de la tente ou
à les faire marcher un peu, pendant que d'autres s'occupent du
stand d'information à l'entrée de la tente, faisant
signer des pétitions, distribuant des tracts, expliquant leurs
revendications aux visiteurs.
Certains dorment sur place, dehors près de la tente, sur des
lits tressés, ou sur la table d'information (que j'ai
testée), d'autres retournent dormir au camp tibétain de
Delhi (à trois-quart d'heure en bus), mais
reviennent tous les jours.
2) Les tibétains solidaires
Dans toute l'Inde, ainsi qu'au Népal, des jeûnes de 24
et de 48 heures sont organisés, en soutien aux
grévistes. Comme j'ai pu le constater à Dharamsala
:
Le R.T.W.A. (Regional Tibetan Women's Association) organise un
jeûne de soutien le 30 mars, à Dharamsala. Il en est de
même au sud de l'Inde, les sections régionales du T.Y.C.
de Bylakuppe, Hunsur et Kollegalfont font un jeûne dans la
ville de Mysore. À Calcutta également . À
Katmandou, au Népal, un jeûne est organisé chaque
dimanche.
Le T.I.P.A. (Tibetan Institute of Performings Arts),
décide d'annuler ses opéras en solidarité aux
grévistes : &laqno; qui se sacrifient aujourd'hui pour le
Tibet de demain ».
Un communiqué du T.Y.C. le 28 mars 1998 informe :
"Le vénérable Palden Gyatso, un des plus connus anciens
prisonniers politiques, rencontre les grévistes le 26 mars,
avant de se rendre au Danemark. Il approuve leur esprit de sacrifice
et dit qu'il parlera d'eux durant ses discussions avec les six pays
européens (qu'il va visiter). Il ajoute que lui et d'autres
tibétains ne laisseront pas leur sacrifice se perdre
inutilement". et "la matinée du 27 mars, Kalon Topgyal et
Tashi Wangdi, respectivement, président du gouvernement
tibétain et ministre du département de
l'intérieur, du gouvernement en exil, ont rendu visite aux
grévistes et leur ont offert des écharpes de
cérémonie (katas). Les deux ministres étaient
accompagnés de Namgyal Dorjee, président de la
commission de service public tibétain. "
Ils sont ainsi nombreux, tous les jours à venir
vénérer les grévistes. Ils font la queue devant
la tente, un kata dans les bras. Silencieux, ils entrent,
vont tour à tour vers chaque gréviste, leur offre le
kata, leur exprimant leur admiration pour ce qu'ils entreprennent,
leur courage, les remerciant. Certains leur apportent des cordelettes
rouges ou de différentes couleurs, ayant préalablement
reçu la bénédiction de grand lamas. D'autres
leur transmettent des lettres de la part de leurs familles ou amis.
C'est ainsi, que des amis de Karma Sichoe, de Dharamsala m'ont
confié des messages à leur remettre.
Les visiteurs ne restent pas trop longtemps, afin que chacun puisse
les voir. D'autant plus que des horaires de visite sont
instaurés, afin de ne pas trop fatiguer les grévistes.
Une ardoise à l'entrée indique : "Visiting Time :
Morning 10am/12am Afternoon 4pm/6pm." Règle à ne
pas transgresser, un membre du T.Y.C. surveille toujours
l'entrée de la tente. Tous les visiteurs ressortent le visage
grave, ou en larmes.
Des jeunes de 10 à 16 ans, de l'école de Mussoorie
(U.P), viennent accompagnés de leur professeurs. Ce sont eux
qui ont demandé à leur professeurs de venir tous
ensemble soutenir les grévistes, m'explique Sangay, une des
"leaders" du groupe. À peine
âgée de seize ans, son regard est
déterminé quand elle crie, d'une voix claire :
"U.N.O. ! what we want? we want justice !".
Ils commencent par une manifestation. En uniforme,
hérité du modèle britannique, ces
écoliers défilent dans les rues de Delhi. Le drapeau
tibétain à la main, bien alignés les uns
derrière les autres, ils hurlent :
"Free Tibet !".
Sous la chaleur de Delhi à laquelle ils ne sont pas
habitués (Mussoorie se trouve dans les montagnes du Nord de
l'Inde), les institutrices font boire les plus jeunes. Ensuite,
ils rangent les drapeaux pour sortir les katas et les offrir aux six
grévistes. Ils sortent tous en fondant en larmes. Devant les
grévistes, ils réussissent difficilement à se
retenir, comme il leur a pourtant été demandé.
Sangay apparaît soudain si fragile, ses larmes coulant sur ses
joues. Rapidement elle se ressaisit, elle est là pour montrer
sa solidarité ; elle "croit à un changement en faveur
des tibétains", ce qu'elle explique, avec un de ses camarades,
devant une caméra de télévision indienne. Une
dizaine de jeunes indiens sont également là pour
manifester leur soutien.
Ils sont relayés par un groupe de jeunes
réfugiés tibétains de 15-25 ans, venus du
Népal, en bus. En arrivant, ils manifestent devant l'immeuble
des Nations-Unies de la capitale indienne. Manifestation plus
virulente puisqu'"un petit groupe brûle des drapeaux chinois",
me raconte Namgyal, un des nouveaux arrivants. Pour lui,
"c'est un acte violent, c'est une atteinte au peuple chinois. Un
drapeau représente la nation, le peuple. Alors que les
reproches sont adressés au gouvernement, non au peuple".
A côté du campement, près du trottoir, des relais
de jeûnes sont organisés à quelques mètres
de Sonam Deckyi. Ils s'installent près de Sonam Dekyi.
Allongés, assis en tailleur, ou debout, ils sont au milieu de
bouteilles d'eau dont ils s'abreuvent sans cesse. Chacun a son
bandeau "Free Tibet" sur la tête. Beaucoup de rires... Ils
sont "heureux et fiers d'être là", à
participer à ce mouvement, me dit l'un d'eux.
"Ce n'est pas triste, c'est pour un Tibet libre !",
précise-t-il.
Il s'en dégage beaucoup d'optimisme, beaucoup d'espoir.
Le soir, je suis restée dormir près d'eux, sous le ciel
pollué de Delhi. J'ai pu ressentir ce que subit depuis dix
mois Sonam Dekyi : le bruit et la pollution des bus et autorickshaws
!
Deux jours plus tard, des nonnes de Dharamsala viennent
également jeûner pendant 48 heures. Leurs robes pourpres
semblent leur tenir chaud. Heureusement chacune a sa bouteille d'eau
; et sur leur crâne rasé, repose un carré de
serviette éponge humide. Serrant leur mala (rosaire), elles
récitent des mantras. Tout en discutant entre elles. Le soir,
des bougies sont allumées. Il n'est plus question de discuter.
Joignant les mains, toutes ensembles, elles chantent des
prières, les yeux fermés ou le regard fixé au
loin. En raison de la barrière de la langue, je ne parviens
pas à parler avec elles. Mais ceci n'est pas
indispensable.
À une demi-heure de Jantar Mantar, à Rajhgath,
plusieurs groupes se relaient depuis le 16 mars. Chaque groupe fait
un jeûne de soutien, de cinq jours. Loin des grévistes,
ils reçoivent peu de visite. Pourtant, ce lieu, Rajhgath
Gandhi Samadhi, est le symbole même de ce jeûne, puisque
les cendres de Gandhi y reposent. Namgyal, rencontré à
Dharamsala, fait partie d'une des équipes. Comme ses amis, il
souffre.
"La première semaine de jeûne est la plus douloureuse
",
me confirmera plus tard Karma Sichoe.
La communauté tibétaine se sent concernée par la
grève de la faim des six tibétains. Elle vient le leur
montrer, les encourager, les féliciter, en se
déplaçant spécialement souvent de loin, pour
jeûner près d'eux, avec eux.
3) Les "foreigners"
Le téléphone portable de Tseten Norbu sonne ! C'est le
bureau du T.Y.C. à Dharamsala. ll informe que le mouvement
reçoit des soutiens des quatre coins du monde :
"Le 20 mars, la Campagne Internationale pour le Tibet, Washington,
D.C., convie ses 15.000 membres à réclamer à
Madeleine Albright, secrétaire d'état des Etats-Unis,
qu'elle soulève la question tibétaine auprès de
l'O.N.U., et demande à l'ambassadeur des Etats-Unis à
New-Delhi de rencontrer les grévistes."
Ainsi, les associations de soutien au Tibet exercent une pression
constante sur les politiques, en faveur des grévistes et de
leurs demandes.
Partout des grèves de la faim sont organisées :
à Washington, New-York, Paris... Le 27 mars, en Australie,
radio ABC diffuse un reportage sur les grévistes de la faim.
En outre Le Australian Tibet Council écrit à son
ministre des affaires étrangères et du commerce, et dit
que
"les Tibétains ont entrepris ce jeûne car le reste du
monde ignore leur situation depuis trop longtemps. Se désolant
des décision des démocraties occidentales, y compris
l'Australie, de ne pas soutenir une résolution des droits
humains non-respectés au Tibet et en Chine, cette
année, à la session de la commission des droits humains
des Nations-Unies à Genève, ATC exhorte le gouvernement
australien à soutenir l'engagement non-violent du peuple
tibétain, à poursuivre les recommandations de la
Commission Internationale des Juristes, de décembre 1997, pour
résoudre le problème tibétain."
Et enfin, "à Genève, le 26 mars, les
délégations gouvernementales et les O.N.G. continuent
de soulever leur inquiétude sur la situation des droits
humains en Chine et au Tibet lors de leur déclaration orale,
avant la cinquante-quatrième commission des droits
humains."
Ils reçoivent des soutiens de la Grande-Bretagne, de l'office
du Prince de Galles, ainsi que des présidents du groupe de
soutien du Parlement français . De plus, les associations
de soutien françaises organisent une grève de la faim
d'une semaine sur la place du Trocadéro, à Paris.
À Dharamsala, un suisse allemand, venu de ses alpages,
Christopher Seiffert, sensibilisé par l'action des
tibétains, décide lui aussi de faire une grève
de la faim, afin d'alerter l'opinion occidentale. Il m'explique sa
position :
"Une des meilleures possibilités de changer le monde est
d'aider le Tibet, de par leur projet d'en faire un pays
protégeant la nature, sans arme, ni nucléaire..."
Il commence un jeûne total. Puis au bout de cinq jours,
décide de boire du thé et des jus de fruit. Il a en
effet besoin de force pour écrire des articles, qu'il envoie
à son frère en Suisse, qui s'occupe là-bas de
contacter la presse. Pendant ce jeûne, Christopher
prépare en outre une campagne internationale de
pétition. Les tibétains sont surpris d'un tel
engagement, mais semblent apprécier, à la façon
dont ils parlent de lui.
À Jantar Mantar, que se passe t-il ?
Delhi est le lieu d'arrivée et de départ de nombreux
touristes étrangers. Paharganj, quartier
apprécié par son côté populaire et ses
hôtels bon marché, accueille nombre d'entre eux. Ainsi
cent mille tracts et pétitions y sont distribués
régulièrement. Des touristes sympathisants, de passage
à Delhi, s'arrêtent à Jantar Mantar,
manifester "leur admiration ". Après avoir
signé la pétition les soutenant, ils repartent, avec,
dans leurs bagages, plusieurs cartes postales pour un "Free Tibet",
destinées à Kofi Annan.
A part ces visites quotidiennes de l'"occident", certains, peu
nombreux, sont là en permanence.
J'arrive à Jantar Mantar le 17 avril, trente-neuvième
jour de grève de la faim. Là, se trouve depuis
début avril, Hansa Natola, une italienne. Lors des
enseignements du dalaï-lama, qui ont lieu tous les ans au mois
de mars après le Lhossar , à Dharamsala, elle a entendu
parler de la grève de la faim et est aussitôt venue
apporter son soutien par sa simple présence. Discrète,
elle passe ses journées entre l'ambassade , le Kiosque
Internet, pour témoigner, et Jantar Mantar... Elle reste
auprès d'eux jusqu'à la fin.
Un journaliste photographe américain, Eugene Louie, est
également sur place. Le sort du peuple tibétain
l'affecte, d'autant plus par ses origines maternelles chinoises.
Dès qu'il est au courant de cette action, il décide de
venir près des tibétains se rendre compte des
événements. Son journal, le San Jose Mercury News,
Californie, n'est pas vraiment d'accord pour l'envoyer, mais Eugene
Louie prend en charge son voyage et s'y rend.
Il séjourne dix jours à Delhi. Pendant lesquels, il
prend le temps : d'observer, de s'entretenir avec les organisateurs
(le T.Y.C)., mais également les tibétains anglicistes
venus soutenir l'action. Discrètement, il prend des photos.
Juste ce qu'il faut pour témoigner, sans déranger.
Davantage motivé par la volonté de réaliser un
témoignage humain que par l'ambition d'obtenir un scoop.
Le 21 avril, quarante-troisième jour de la grève,
Gaynor O'Flynn, est envoyée par Free Tibet Campaign
(F.T.C.), de Londres. Étant à Delhi dès le
début de la grève, elle a pu, de retour en Angleterre,
informer l'association londonienne de soutien. De par ses
compétences professionnelles en communication, elle propose
à F.T.C. d'aller à Delhi, promouvoir celle des
tibétains. Dès lors, elle atterrit à Jantar
Mantar, l'ordinateur Mac portable sous un bras, le carnet de
"coordonnées des médias d'Asie du Sud-Est" sous
l'autre. Elle relance la communication du mouvement, envoie des
courriers, aux représentants des Nations-Unies, expliquant
l'état de santé des grévistes, qui se
dégrade de jour en jour. Elle organise également une
conférence de presse avec Tseten Norbu, président du
T.Y.C., invitant les journalistes indiens, ainsi que les
correspondants de journaux occidentaux.
Par ailleurs, une petite étudiante en anthropologie est aussi
parmi eux. Elle observe, se demandant où commence
l'observation anthropologique? où sont ses limites?
En effet, je m'interroge. Je suis là, à observer six
êtres humains se laissant mourir pour un idéal,
libérer leur pays. Je les observe aussi par idéal
personnel : apporter un témoignage de combat pacifique humain
contre une oppression.
Mais là, sur le moment, qu'est-ce que cette observation
signifie?
Ils n'ont rien mangé depuis plus de quarante jours et peuvent
mourir d'un instant à l'autre.
À quoi servirait alors mon témoignage ?
- Eh bien à témoigner ! sans autre
prétention.
Qu'est-ce que je pensais ? Empêcher qu'ils meurent de
cette lutte ?
- Non, bien sûr, ce n'est pas en mon pouvoir. J'accepte mes
limites, heureusement ! Cet abus de pouvoir sur l'autre est
précisément la cause de leur détresse actuelle
!
Pourtant je me demande encore instinctivement ce que peux faire,
maintenant. Alors, pour me rassurer, j'informe de ce qu'il se passe,
sur internet . En ayant conscience du ridicule "petit
écho" que cela génère.
Et si ce "petit écho" avait justement un rôle à
jouer maintenant dans cette passionnante évolution de
l'être humain, lui qui permettrait d'orienter les
mentalités vers davantage de respect d'autrui ? Pourquoi pas ?
Cette thèse me permet du moins d'assumer mes émotions,
qui sont de toute façon naturelles, et sans lesquelles je
n'aurais jamais décidé de réaliser cette
enquête.
En définitive, non, il n'y aurait aucune limite à
l'anthropologie. En ce qui concerne la stricte observation, oui
peut-être ; mais agrémentée de participation
inévitable, non, il n'y a aucune limite. La voie est ouverte.
Nous développerons cela plus loin.
© tous droits réservés Mélanie Portet-Le Doze-Maitrise d'Ethnologie98 Université Paris-8 Saint-Denis (FR) Contact Mˇlanie