TARENTULA de Robert Zimmerman

Le délire hermétique de Dylan

article paru dans la revue de Pop Music EXTRA à Paris en janvier 71

Au dernier Festival de l'île de Wight, Dylan brillait par son absence. Et pourtant il était partout. On avait baptisé " Désolation Row" l'allée d'arbres qui longeait les tôles jusqu'au pied de la colline. Le soir, on passait " Don't Look Back", le film sur lui. On vendait aussi un de ses disques pirates, " Bootlegger", tout blanc, très rare, et très cher bien sûr. Et j'ai même réussi à trouver son bouquin, attendu depuis plus de quatre ans.

Tarentula.

Impossible d'appeler ça un livre. Une soixantaine de pages polycopiées, aggraffées sommairement sous une couverture blanche ; Tarentula by Robert Zimmerman. Son vrai nom, comme chacun sait.

Dylan n'est pas un écrivain. Au contraire de Léonard Cohen qui écrivait depuis longtemps avant de mettre en musique ses poèmes autour des feux de bois d'Hydra, en Grèce.

Dylan, c'est l'inverse. Il a dû écrire" Tarentula" parce que ses chansons avaient du succès, se vendaient bien. A chaque interview, les reporters insistaient pour savoir s'il écrivait autre chose. Un jour, il aurait répondu : "Sure, I write books" de cette façon qu'il a de pouvoir dire n'importe quoi, aussi bien .... "JoanBaez connais pas" que " Si je n'avais pas été chanteur, j'aurais aimé être plombier..."

Mais les éditeurs l'ont pris au mot et ont commencé à lui offrir des contrats pharamineux. En fait, c'était son nom qu'on achetait, pas son oeuvre. Conclusion, il a choisi, avec son manager, l'éditeur qui lui offrait le plus gros contrat, en pensant ....Wow, l've done many things before, it's not SO hard to write a book."

Il a mis la machine à écrire dans ses bagages et au hasard des chambres d'hôtel, autour du monde, a écrit.
Des textes. Bizarres. Complètement dingues.

Difficiles, pour ne pas dire impossible, à lire.
Pas d'histoire
plutôt des sensations
des flashes d'images
des développements sur n'importe quoi avec de beaux titres se répercutant d'un délire à l'autre
entrecoupés de simili lettres adressées à n'importe qui toujours sur n'importe quoi et signées n'importe comment avec l'éternel ton sarcastique et ironique de Dylan et son air de ne jamais y toucher
ponctuation souvent manquante ce n'est pas moi qui le lui reprocherai du moins dylan élude parfois les majuscules et autres corsets inutiles du langage et de l'expression
Evidemment ce n'est pas d'un abord facile. Il faut peut-être s'y habituer. Etre initié A l'hermétisme évident de Dylan, plus évident à la seule lecture, sans la musique.

Il se trouve que "Tarentula" n'a pas été publié.
Dylan, qu'on attendait comme un second James Joyce ou un nouveau Jack Kerouac, a eu son accident de moto et dans son feu d'artifice apocalyptique s'est détaché de pas mal de choses. Entre autres, il s'est rendu compte qu'il ne pouvait pas publier ce livrequi n'en était pas un.
D'ailleurs, c'était impubliable. Et de plus intraduisible.
Dylan a un langage qui n'appartient qu'à lui, fait de correspondances, de jeux de mots, d'associations d'idées, de sonorités rares. Et bien plus que le sens, c'est la magie des mots qui séduit en Dylan - les messages, il y a longtemps qu'il les a laissés aux syndicalistes - la magie, désabusée, mordante ou tendre, des mots
une vraie musique
sans la musique
c'est peut-être dommage
Dylan écrit quelque part dans " Tarentula " : "I would like to do something worthwhile like perhaps plant a tree on the ocean but I am just a guitar player. "

" Tarentula " reste une ébauche
comme une symphonie inachevée

Gaëlle le Doze

Bob Dylan : bon anniversaire 24 mai 98
Dont Look back, article paru dans Extra en janvier 1971
Tarentula, article paru dans Extra en janvier 1971


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