DON'T LOOK BACK
BOBBY DYLAN AU ZENITH

article paru dans la revue de Pop Music EXTRA à Paris en janvier 71

 "Don't Look Back", c'est le titre du film de Pennebaker tourné en avril 1965, lors de la venue de Bob Dylan à Londres. Le film passe là-bas depuis l'été, avant d'arriver à Paris, vite on l'espère. et il était également projeté le soir pendant le Festival de l'île de Wight.

Ça commence par cette chanson folle "Subterranean Homesick Blues ". Dylan dans une rue étroite longée de poubelles débordantes tient dans ses bras une pile de pancartes avec des mots de la chanson : " pavement " basement" "governement" "trench coat" " look out kids" "new friend" " tip toes" and so on...

Au fur et à mesure des phrases, il enlève les pancartes, les unes après les autres.

Quelquefois, il se trompe, il va trop vite par rapport au rythme de la chanson, ou il ne va pas assez vite. Il a un air appliqué, sérieux, concentré, malgré sa silhouette fuyante.

Ce qu'il y a de bien avec Dylan c'est qu'on ne sait jamais s'il se fout de la gueule du monde ou pas, s'il se fout de sa propre gueule ou pas.

En tous cas, le Dylan du film, le Dylan en mou vement, n'a rien à voir avec les photos, même celles de l'époque, qu'on a l'habitude de voir de lui.

 

Et c'est la plus grande surprise de ce film, qui regarde vivre Dylan pendant quelques jours, le suivant de chambres d'hôtels en scènes et de scènes en chambres d'hôtel, seuls horizons de cette tournée en Angleterre.

on s attendait à voir un dylan paumé morne à moitié camé l'oeil tombant et on découvre un dylan vivant et mouvant riant et mordant un dylan incisif et tendre un dylan spirituel et brillant un dylan narcisse certes mais merveilleux d'intelligence

un dylan d'il y a cinq ans
insoupçonnablement beau
des yeux tendres aux longs cils
une bouche d'enfant
des cheveux d'ange

un dylan qui reçoit gentiment des petites filles qui se pâment un dylan qui offre à une admiratrice un cigare à moitié fumé par lui ou qui renvoie la balle avec humour à chaque question posée par un journaliste venu l'interviewer comme l'arroseur arrosé.

 Il y a deux très belles scènes dans le film, entre autres, dont l'une, plus ancienne que le film, est un flash-back sur Dylan à ses débuts, chantant dans la tradition de Woody Guthrie " Only A Pawn In Their Came", entouré d'ouvriers noirs
il articulait alors consciencieusement dans le micro accompagné de sa seule guitare
il avait les cheveux plus courts et encore cet air de boy-scout qui essayerait de grandir

L'autre scène se passe dans une chambre d'hôtel entre deux concerts au Royal Albert Hall de Londres

joan baez est là elle chante une mélodie très douce visage grave longs cheveux noirs dylan est assis devant sa machine à écrire tac tac tac tac tac il écrit de temps en temps il s'arrête

il se laisse bercer par la chanson de joanie et puis reprend tac tac tac tac c'est très beau elle continue avec l"ove is just a four letters word" et puis bientôt il prend lui-même une guitare et improvise

 

Voilà, c'était à Londres en 1965, au printemps.
C'était avant le passage de Dylan à l'Olympia, le 24 mai 66, jour de son anniversaire, il avait 25 ans.

C'était avant sa chute libre.
C'était avant qu'il ne change de style, comme au festival de Wight 1969.

mais comment reprocher à quelqu'un d'évoluer

et c'est tout le problème de dylan
son intangible
on croit le suivre le saisir mais il fuit avec un clin d'oeil et se cache derrière un pied de nez il est déjà ailleurs un pas en avant et un ton plus haut
sans jamais se retourner

Dans la salle du Paris Pullman à Londres cet été, il y avait beaucoup de Français bien sûr, qui pour la plupart espéraient un film entier sur la vie de Bob Dylan ou quelque chosecomme ça.

ont-ils été déçus
peut être

ça leur apprendra à vouloir regarder en arrière

don't look back

Gaelle le Doze

Bob Dylan : bon anniversaire 24 mai 98
Dont Look back, article paru dans Extra en janvier 1971
Tarentula, article paru dans Extra en janvier 1971

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