De : Gwenael
À : Marie-Helene Le Doze
Date : mardi 30 novembre 1999 20:38
Objet : J'avais oublié.

Moi, je voulais aussi dire à propos de Bruno que j'ai connu quelqu'un qui
avait envie de faire des choses avec moi (de l'escalade, de la montagne),
mais pas de quelqu'un qui parlait de lui.
..
La seconde fois, je faisais le cochon pendu dans sa serre, pour tester la
solidité de la construction (un peu aussi pour m'amuser) et lui, il me
parlait de la façon dont il allait vendre ses légumes. Il me disait que la
vie était belle, une fois qu'on s'en est sorti. Il me parlait de la
drogue.
Il est mort la même semaine qu'un homme qui m'a sauvé la vie.
Ce furent les deux seules fois où j'ai pleuré à un enterrement.
Mais ce fut la première fois que j'ai trouvé la mort dégueulasse.
Et puis je me suis rappelé que depuis son origine, le monde est absurde et
que rien ni personne n'y changera rien.
Faut vivre avec, c'est tout. Depuis mon apprentissage, j'ai appris à
contrôler ma douleur physique. Il suffit de trier les messages nerveux
que ton corps envoie à ta conscience.
Aujourd'hui, ma tendinite me lance et je ne ressens rien, uniquement parce
que je contrôle ma respiration. Le ralentissement de mon souffle ralentit
mon coeur et le message nerveux de la douleur nécessite justement un poul plus
rapide.
C'est pratique et c'est automatique chez moi. J'ai vaincu mon vertige avec
ça. J'ai vaincu ma haine avec ça.
Mais je n'ai jamais rien pu pour les souffrance que m'ont infligé mes
sentiments. Sinon j'en perdrais tout aussi bien leur saveur.


Je suis heureux d'avoir connu ton frère. J'ai vu quelqu'un qui de son
vivant ne m'a donné qu'un message positif, à chacune de nos rencontres. Je n'ai
eu qu'une seule expérience négative en sa présence, ce fut M.P. qui a
voulu me convertir agressivement au bouddhisme.
Depuis sa mort, j'en ai tellement pris plein la gueule que j'en ai été
fatigué de vivre. Mon esprit divaguait, ma raison n'avait plus aucune
importance. Lorsque je te parle de raison, ne me parle pas de folie!
J'ai gardé au fond de moi mes souvenirs, j'ai éloigné de moi tout mes
échafaudages logiques. J'ai fait un peu comme mon pote Arthur.
J'ai chopé la beauté dans mes petit bras musclés, je l'ai assise sur mes
genoux comme j'aurais fait avec un enfant et je lui ai dis" nique ta reum"
C'est curieux, mais elle ne m'a pas répondu.
Pendant deux ans je me suis mis en guerre contre moi même.
J'ai voulu donner des yeux au hasard.
J'ai perdu mon âme et je m'en suis rebricolée une avec un morceau de
branche de chataigner que j'ai fendu de mon opinel.
Je suis en train de gagner.
Je ne gagne aucune guerre.
Je gagne, c'est tout. Une victoire qui n'est ni contre les autres, ni
contre moi même.
Une victoire, c'est tout.

Ce n'est même pas la peine d'y réfléchir.

C'est une victoire animale.

La vie, c'est quelque chose de vachement chouette.
C'est pas la peine d'essayer cette mort qui reste toujours une supposition.
J'ai déjà essayé l'état désespéré.
Je l'ai connu deux fois.
Une première fois lors d'un coma éthylique, la seconde fois dans une chute
de cent mètres en montagne.
J'y ai acquis un respect de la vie qu'aucune des personnes que j'ai croisé
n'a deviné en moi.
Cela parce que depuis cinq ans, je risque quotidiennement ma vie, au minimum
huit heures par jours.

En même temps, si je meurs demain ou si le monde fini enfin de se détruire,
je m'en tape comme de l'an 2000.

A l'instar du Caligula de Camus qui, à l'heure de sa mort, crie en riant :
" je suis encore vivant", moi, je penserai tranquillement : "Je suis
toujours vivant", parce que ma logique a accepté que le monde ne soit qu'un
théâtre de l'absurde, un Malentendu.
Je vis et c'est tout.

Bruno m'a dit que vu la quantité de saloperie qu'il avait pris, il ne
comprenait pas comment il pouvait encore être vivant.
Il a ajouté que sa jeunesse et toute sa vie de défonce étaient plus que
partiellement effacées de sa mémoire.
Qu'il avait l'impression d'être né trois ans plus tôt. Il n'avait pas encore
quarante ans.
Il a conclu par "c'est beau la vie", ou une connerie comme ça.
Il y a des fois où il faut écouter les conneries.
Moi, parfois, je les écoute.
je vis, c'est tout.
Kenav et LOL


P.S (Complètement scripté)

Tu fais ce que tu veux avec ce message. Quelques petites choses me sont
revenues dans la soirée.
Sinon, la couverture c'est dur !
Mais enfin, mon chantier a vue sur l'Ile de Groix. Ca me donne envie d'y
retourner affronter le trou de l'enfer, les mains et les pieds nu, mon corps
libre contre la roche.
Rien que moi et la falaise.


Souvenir de Bruno Le Doze (1957-1997)

Bruno aux Saintes

Bruno Le Doze Saint-Martin en mars 1988

Sur Bruno par Gwenael

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