Des tibetains en greve de la faim

hunger (photo)
plan du camp






INTRODUCTION





Partie en Inde pour une autre enquête anthropologique, c'est par hasard que je suis arrivée à Dharamsala. C'est dans cette vallée du nord de l'Inde, aux contreforts des Himalayas que vivent le dalaï-lama, chef spirituel et temporel des tibétains, et plusieurs milliers d'exilés, depuis l'invasion de leur pays par la Chine en 1959.

Là-bas, j'appris immédiatement, par l'agitation qui y régnait (rassemblement, banderoles, etc), qu'une grève de la faim de six tibétains avait commencé à Delhi, depuis le 10 mars "Uprising Day" date anniversaire du premier soulèvement des tibétains à Lhassa contre l'oppression chinoise. Des grèves de la faim ont déjà été organisées par le T.Y.C. (Tibetan Youth Congress) , mais toujours interrompues à la demande du dalaï-lama. Cette année, ils ont, par avance, prié "Sa Sainteté" de les laisser aller au bout de leur action. Ce qui fut accepté.

Pour la première fois, six tibétains, représentant symboliquement les six millions de survivants restés au Tibet, entreprennent une grève de la faim illimitée, dite " jusqu'à la mort ", pour se faire entendre de l'opinion internationale et particulièrement de l'O.N.U (Organisation des Nations-Unies).



Je conçois l'ethnologie, ou plus largement l'anthropologie, comme une étude exclusivement au service de l'être humain. Une étude qui permet une meilleure connaissance de celui-ci et au service de l'expression des libertés humaines, en vue de libération universelle.

De par une telle conception, j'ai naturellement été alertée par cette grève de la faim illimitée. Aussi, ai-je décidé de changer d'enquête, de remettre à plus tard celle qui était initialement prévue, pour rester en compagnie des tibétains et témoigner de cet acte.

J'ai ainsi passé quinze jours à Dharamsala du 23 mars au 6 avril 98, puis trois semaines à Delhi du 15 avril au 5 mai, et enfin un mois, à nouveau à  " Little Lhassa " ; réalisant là ma première véritable enquête. Trop consciente de la responsabilité que je m'étais imposée, je passais  par des sautes d'humeur : de la peur de ne pas être à la hauteur, n'ayant pas les compétences d'une anthropologue expérimentée, à l'excitation d'être témoin de telles actions humaines, méritant justement une sérieuse enquête anthropologique...

La découverte des difficultés d'une enquête fut brutale. À mon arrivée à Delhi, les six tibétains, à leur trente-huitième jour de grève de la faim, étaient très faibles. Il m'était impossible de manquer de maladresse au point de les harceler de questions, tels les journalistes de passage ! Ainsi durant ces trois semaines passées à leur côté, je fus incapable de leur adresser la parole, me contentant d'être là, d'observer, d'essayer de comprendre, de sentir ce qu'il se passait et de poser des questions aux tibétains anglicistes venus les soutenir. Lorsque je fais parler les grévistes, j'utilise donc les entretiens réalisés par Gaynor O'Flynn pour Free Tibet Campaign. (F.T.C . Campagne pour un Tibet Libre); mes propres entretiens étant effectués auprès de la communauté tibétaine à Delhi et Dharamsala.


Cette délicatesse, ou timidité, fut néanmoins appréciée, car deux mois plus tard à Dharamsala, c'est d'eux-mêmes qu'ils se confiaient. Confessions que je n'ai pu enregistrer, encore peu familiarisée par les outils de l'enquête. Préparer mon dictaphone fut rapidement un réflexe, mais oser le sortir de mon sac était un réel effort, sans parler d'enregistrer en cachette, ce qui m'était impossible.

Une autre angoisse, en raison de l'intensité des émotions que suscitait cette grève de la faim,  fut celle d'être déstabilisée au point de manquer de recul. Or je comprends aujourd'hui l'importance d'être pleinement dans cette émotion afin de ressentir cette réalité, de la partager, de la comprendre (y parvient-on vraiment ?). Et la nécessité, seulement plus tard, de prendre une distance physique et mentale par rapport à l'enquête, afin d'en saisir la vérité, en quête de laquelle nous sommes.

Mon objectif n'est donc pas de juger, mais de transmettre ce qu'est, ou ce que représente, cette grève de la faim à Delhi. Comment trouver cette vérité ? Tout d'abord en acceptant qu'elle ne soit pas fondée sur une &laqno; réalité » unique, mais sur différentes réalités subjectives. Ce ont elles que je vais étudier à travers, bien sûr, ce que j'en ai perçu, soit ma propre subjectivité.

Explorons ces différentes réalités subjectives, par la rencontre avec les six grévistes, mais également les membres du T.Y.C., les soutiens et plus largement la communauté tibétaine, sans oublier "Sa Sainteté"le dalaï-lama, les médias occidentaux et enfin les destinataires de l'O.N.U.. Par ailleurs cette grève de la faim envisagée jusqu'à la mort, aboutit effectivement à la mort, non par dénutrition, mais par immolation brutale.  La mort est le coeur de cette enquête. Tout s'axe autour d'elle : le Tibet meurt ; les tibétains veulent le faire revivre. Pour cela, un moyen de pression, dans un monde de pouvoir et de domination : une arme, la mort. Mais la leur, pas celle d'autrui, bouddhisme oblige !




Après un récapitulatif historique de la question tibétaine, nous présenterons l'enquête de terrain pour conclure sur la position de l'ethnologue face à une telle situation de crise.



Ces six tibétains en grève de la faim agissent maintenant pour être un jour libres, soutenus par la communauté tibétaine et "étrangère", ils attendent une réponse de l'O.N.U., à qui ils réclament un plébiscite supervisé par elle.

Cette lutte pacifiste coûte néanmoins la vie d'un tibétain, Thupten Ngodup, qui s'immole par le feu, alors que la police emmène de force les grévistes à l'hôpital. Cette grève de la faim finit réellement "jusqu'à la mort". Comment ces actions sont-elles perçues par la communauté tibétaine et par "Sa Sainteté" le dalaï-lama, en particulier par rapport à leurs convictions religieuses ?

Enfin, le message est-il passé, les médias l'ont-ils transmis ? Quelle est la réaction de l'O.N.U. et de ses États membres ?

Suivons cette grève de la faim...


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© tous droits réservés Mélanie Portet-Le Doze-Maitrise d'Ethnologie98 Université Paris-8 Saint-Denis (FR) Contact Mˇlanie

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