Johnny Halliday au Palais des Sports en novembre 71

par Gaëlle Le Doze

JOURNAL A PLUSIEURS VOIX

Esprit 11 (Novembre 1971)

p 833

LA BÊTE HUMAINE. - L'oeil mauvais, la bouche en avant, mâchoires serrées, l'air de dire : " Les mecs, je vais vous baiser ", Johnny roule les mécaniques, en traînant son micro le long de la scène. Cherchant des visages dans le noir, " Je t'ai eu ", il pointe son doigt vers nous, " Que je t'aime", et dix groupies sautent en même temps à son regard, croyant chacune être l'élue... 2'35" de tendresse, et les stridences repartent de plus belle. Poitrail nu (Johnny est d'ailleurs le seul a pouvoir exhiber ses pectoraux sans avoir l'air ridicule), cuisses puissantes et reins ondulants, c'est le "sex-show" de Johnny : " Voyez ce que je veux dire... Pas besoin de me demander pourquoi j'ai l'air si fatigué..." Johnny pourrait arriver sur scène, braguette ouverte, phallus en main, ça ne surprendrait personne.

Johnny connaît son boulot ; dans son spectacle rien n'est laissé au hasard, et surtout pas les moments de charme, et chaque geste est étudié au quart de seconde, tant sa façon de jouer avec son micro que ses regards de mauvais garçon. Le show est complet, précis, au point. Colombes, encens et confettis le premier soir, ballons et bulles de savon ensuite, derrière la scène un écran immense s'allume en titres à la une des journaux depuis dix ans, Johnny, Sylvie, Johnny, France-Soir, Ici-Paris. France-Dimanche...

Johnny met toutes les chances de son côté : Il a choisi le meilleur pianiste : Michel Polnareff, les meilleurs musiciens de France et surtout d'Angleterre. une quinzaine au moins : guitares, trompettes, orgue, batterie, bongos, etc... plus quatre choristes ; tout ça fait d'ailleurs tellement de bruit qu'on a du mai a reconnaître quelque chose. Johnny a choisi aussi les meilleurs paroliers (il arrive parfois qu'on comprenne des phrases entières). et Il a même fait appel a Beethoven puisque c'est sur fond de Septième que la salle l'attend en hurlant chaque soir...

Humblement j'avoue n'être pas restée insensible au spectacle, et au milieu des groupies délirantes debout à ses pieds, j'ai, malgré moi piaffé le rythme en cadence...

Évidemment il chante faux, en fait il meugle et éructe surtout dans le micro. mais ce n'est pas ça l'important, on en a plein les oreilles et plein les yeux, alors on l'excuse, et puis il n'en peut plus, Johnny, de faire chaque soir ce tour de force, il transpire à grosses gouttes, son front est tiré, ses yeux encore plus petits que d'habitude, mais il va jusqu'au bout, les jambes écartées, les pieds bien

sur terre, en arrachant son micro. Et puis il s'est ménagé vers le milieu du show. une petite séance de méditation yoguique, ça lui permet de mieux se déchaîner après.

Mais le plus beau moment, c'est quand Johnny s'asseoit au bord de le scène. Sa voix s'éraille de plus en plus, il enlève son bracelet de force, le gauche. A ses pieds la grappe humaine tend les mains, Johnny ménage ses effets, fait tourner le bracelet sur son doigt, et enfin le jette à la foule adoratrice... il enlève le deuxième, cherche toujours de son regard magnétique les visages implorants, ça dure très longtemps, on commence à ne plus saisir du tout les paroles. Johnny tient dans ses mains ouvertes le bracelet de force cloutés, il le passe lentement sur son front. la salle s'est arrêtée de respirer; il tient comme une hostie le bracelet consacré par la sueur de l'idole et l'offre enfin en pâture à la foule extatique.

En vérité, je vous le dis, c'est le spectacle le plus drôle de Paris, la communion selon Saint Johnny. On n'ose y croire tellement il met le paquet. Mais ça marche. Johnny tient son public à sa main, à sa botte. Il peut même se permettre de l'arroser, en lançant sa bouteille d'Evian à moitié pleine en jet d'eau baptismal. Et manifestement, lui seul, en France, peut drainer autant de monde chaque soir pendant trois semaines.

Et puis, Johnny, il n'a pas peur de la démagogie. Bras levés, doigts écartés, il n'hésite pas a faire le signe de la paix, lui qui avait tant critiqué a une époque les beatniks non violent : " sur leur derrière, avec les cheveux longs "; les siens n'avaient pas encore eu le temps de pousser, depuis il a su retourner an veste, c'est sans doute sa grande force.

Il attaque la pollution (avec Ludwig van Beethoven), les marchands de guerre, la loi : " Pourquoi n'aurais-je pas le droit de faire la justice moi-même? ", et proclame : " Faut essayer de vous aimer... La liberté, faut essayer... L'amour et la paix, faut essayer... Que vous soyez blancs, jaunes, ou noirs... Faut essayer... " Et en avant pour la minute de solidarité raciale... "Et tapez dans vos mains..." Quand Johnny dit ça, c'est autre chose que Joan Baez..

 

G. Le D.


Revue Esprit

le Journal à plusieurs voix, avec Casamayor, Philippe Meyer, France Quéré, Paul Thibaud, Jean-Marie Domenach, et de nombreux autres (réunions du lundi soir 19 rue Jacob Paris Vè)


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Johnny Halliday au Palais des Sports en novembre 71
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