Entre deux mondes
par Sylvia L
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Mercredi 7 novembre 2001
Il est 12 heures, le téléphone sonne, je décroche : "Sylvia ?" "Oui !", une voix me dit : "Tu es au courant de la mort d'Isabelle de B. ?". C'est le choc. Je n'y crois pas, j'appelle aussitôt les gardiens de son domaine breton, Hélène me répond et je comprends au son de sa voix que cest la vérité.
Je ne réalise pas, je vais prévenir Jean et Annie, des amis voisins qui la connaissaient depuis toujours. Ensemble nous avons pleuré et parlé delle.
En début daprès-midi, je suis allée chez Monsieur L., ami d'Isabelle, en le voyant, je pleure tellement que j'ai du mal à parler, au bout de quelques instants jarrive enfin à prononcer la triste vérité : "Isabelle est morte." Il est aussi triste que moi mais en parlant je me souviens quIsabelle mavait dit un jour : " Si un jour en arrivant vous me trouvez inanimée sur mon lit, ne faites rien, c'est mon choix." Cétait un sujet quelle évoquait souvent avec certains proches. Je me souviens aussi quaprès la mort de sa soeur D., ses neveux dans leur chagrin avaient oublié de faire une plaque en sa mémoire, Isabelle sen était chargée et en a également demandé une à son nom, bien sûr sans la date de décès.
Le jour de la messe en souvenir de D., je me souviens que cela avait très dur. Le soir le prêtre était venu bénir les cendres au château de P., jétais dans la cuisine en train de préparer le dîner, le père des enfants de D. est entré, il ma dit : "Ne me regardez pas, vous êtes la dernière à lavoir vue vivante, je vais pleurer ! ", jai éclaté en sanglots et lui aussi. Le lendemain à la chapelle au moment des condoléances, son ami ma prise dans ses bras devant tout le monde. ISABELLE avec son humour habituel mavait rattrapée par le bras en me disant avec son beau sourire : " On a besoin de vous, on a faim. "
Je croyais ne plus revivre un tel drame dans cette famille.
Jeudi huit novembre
Il est une heure du matin, je ne dors pas et je pense.
Quand je l'ai appelée au téléphone le 25 octobre pour lui souhaiter son anniversaire, elle m'avait dit : "Je vous rappellerai le 8 novembre pour le vôtre."
Elle ne m'appellera plus.
Pour moi je n'ai pas perdu mon employeur mais une grande soeur qui m'avait redonné la joie de vivre pendant de tristes moments.
Elle était toujours présente, un mot gentil, une parole réconfortante, un geste, une attention, elle savait parler, était à lécoute de tout.
Je ne la voyais que quelques mois par an mais jattendais avec impatience ses coups de fil avant son arrivée à Moëlan : " Allo Sylvia, cest Isabelle, je serai là tel jour, je compte sur vous. "
Je nentendrai plus le son de sa voix mais elle restera présente dans ma mémoire et dans mon coeur, je garderai aussi chez moi toutes les marques d'affection quelle avait eues pour moi, photos, cartes, petits souvenirs de ses nombreux voyages, tel que mon prénom en chinois et bien dautre choses.
Lorsque je me rendais chez elle, cétait une joie, je me sentais à la fois respectée et utile, ce qui ne métait pas arrivé depuis longtemps, elle ma redonné confiance en moi. Jai appris par ses amis quelle maimait beaucoup. Je pense que je ne réaliserai la triste vérité que lorsque ses cendres reviendront ici et encore !
Pour moi Isabelle était une femme avec un coeur immense, à lécoute de son entourage, une grande dame qui respectait tout le monde, mais aussi une grande soeur, une amie, une confidente. Avec elle une partie de moi s'est éteinte à tout jamais. Les membres de mon entourage ne comprennent pas mon désarroi, car aucun mot ne peut exprimer ce quelle représentait pour moi.
Il est trois heures, je vais me coucher, mes yeux se ferment, à bientôt.
Lundi 12 novembre
2 heures du matin, je ne peux toujours pas dormir, trois jours que je ne suis pas venue parler à mon ordinateur, mais je pense toujours à elle.
Jai réussi à téléphoner à ses enfants mais je suis tombée sur le répondeur. Je voulais leur exprimer toutes mes condoléances et tout le chagrin que je pouvais ressentir, leur dire que je serais toujours là s'ils avaient besoin de moi.
Je me souviens, la première fois que je lai vue, cétait chez sa soeur D., le 1er Janvier 1994. C'était très agréable de voir cette grande dame rire de me voir faire quelques petites fautes de service, il faut dire que je n'avais pas lhabitude de servir dans ce monde. Mais cela nétait pas de la méchanceté de sa part, au contraire elle prenait ça sur le ton de la plaisanterie et tournait mes erreurs en rigolade, il faut dire quelle savait mettre les gens à laise. Je lai revue quelquefois, toujours à dîner ou déjeuner, jusquau mois de juillet lorsque jai appris que D. était malade, encore un épisode dur et difficile.
Le 15 août, jétais dans la cuisine, triste mais moins quaujourdhui, je navais pas connue D. avec d'autant d'intimité. Isabelle ma demandé comment jallais, je lui ai dit : "Pas bien", elle ma prise dans ses bras et a dit : "On va se consoler ensemble", puis avec un sourire : "Voulez-vous venir chez moi travailler bien que nous soyons le 15 août ?" et jai dit "Oui !" Voilà comment tout a commencé.
Isabelle était la générosité même, je ne parle pas de finances mais damour du prochain, elle savait faire le bien autour delle et donner plein damour, je pense que, jamais, je ne retrouverai une personne avec un tel élan de tendresse et de compassion. Jai appris avec elle que jétais une personne. Lorsque jai subi ma première opération, elle était là, encore là et toujours là.
Pour moi et beaucoup dautres qui la connaissaient, je le redis, cétait une TRÈS GRANDE DAME.
Je pense à ses deux enfants, je sais comme il est dur de vivre sans sa mère car jai perdu la mienne à l'âge de six ans.
Jai hâte que Monsieur et Madame L. rentrent de leur voyage afin de pouvoir parler de vive voie car là je parle mais personne ne me répond. Son amie antiquaire ma aussi appelée mais elle ne rentre aussi que dans huit jours. Tout à lheure je téléphonerai à Sauveur et Hélène, ses gardiens, car chez moi personne ne comprend, je suis seule et triste. Si je navais pas mes enfants...
Je vais arrêter pour cette nuit, à bientôt Isabelle, espérant que tout cela ne soit quun cauchemar, et que je me réveille, mais malheureusement ce nest que la triste vérité.
Iundi 19 novembreMe revoilà devant mon ordinateur, il est vingt-trois heures, déjà huit jours, je suis toujours aussi triste et révoltée, comment cela est-il possible ?
Je suis aussi en colère contre la médisance de certaines personnes qui osent juger sa façon de vivre sans la connaitre. On m'a dit un peu méchamment : " Mais pourquoi réagis-tu comme cela, elle se moquait bien de toi, elle était riche et toi tu nétais rien à ses yeux que sa femme de ménage, elle devait bien rire quand tu lui parlais..."
Pouvez-vous me dire pourquoi les gens aiment faire souffrir les autres, eux qui soit-disant croient en Dieu, se rendent à léglise et prient, je ne sais pas si on pourra me lexpliquer un jour. Je pensais que dans ma tristesse, jaurais été un peu plus soutenue, mais rien !
Le pire, pour moi cest de penser à ses deux enfants. Cest bientôt Noël. Cette année, je nentendrai pas sa voix me disant : "Je serai là à telle date", plus jamais !
Mardi 13 novembreCest encore moi !
une journée sest écoulée, ses cendres ne sont toujours pas revenues. Jai vue une autre grande amie d'ISABELLE et bien sûr nous avons évoqué nos souvenirs, qui sont toujours les mêmes : bonté, gentillesse, écoute du prochain et la même question : " Pourquoi ?" et encore " Pourquoi est-elle partie ? " Nous sommes en colère quelle nous aie quittées.
Je reprends mon bavardage, jai épuisé tout le programme de la télé, je ne dors toujours pas, son visage est là dès que je ferme les yeux, le son de sa voix résonne dans ma tête, cest très dur, il faut que je ne garde en souvenir que les bons moments, cela ne sera pas difficile parce que je nai connue avec ISABELLE que de la joie. Lorsque jarrivais triste et mélancolique, je repartais avec un autre esprit, ISABELLE tu me manques.
Mercredi 14 novembre,
il est 8 heures, cest rare que je vienne parler à cette heure-ci.
Je me rappelle un jour, ISABELLE mavait dit : "Plus tard quand nos enfants seront tous casés, je vous engagerai comme dame de compagnie et nous voyagerons partout !"
Maintenant ce nest plus quun rêve lointain, dommage !
Le rêve
Il est vingt-trois heures, jai encore passé ma journée à parler dISABELLE avec des personnes qui la connaissaient bien et qui lappréciaient autant que moi, et puis pour la première fois depuis très longtemps, je me suis endormie très tôt mais j'ai fait un triste rêve qui avait pourtant lair très bien au début :
ISABELLE était à K. avec les enfants, nous étions dans la cuisine à parler de lavenir, elle avait lair très heureuse et me disait : "Je viendrai un peu moins souvent car je commence une nouvelle vie ! ", puis, voyant ma tristesse, elle ma dit : " Mais ce nest pas pour longtemps, vous verrez bientôt tout sera comme avant, il y aura plein de monde ici, la maison sera remplie de rire et de joie, Edwina nous fera des bébés et vous me ferez vos petits-plats, sans oublier les gâteaux au chocolat ! "
Et puis je me suis sentie gelée et je lai vue allongée seule à la morgue, sa voix me disait de la rejoindre, que cétait merveilleux et que tout était magique en haut.
Puis je me suis réveillée complètement frigorifiée.
Lundi 19 novembre
Déjà 15 jours que vous avez décidé de nous quitter et que vous êtes toujours seule là-bas dans ce frigo, nous navons pas pu encore vous rendre hommage et vous dire au revoir, dire combien on vous aimait, afin que vous puisiez enfin reposer en paix comme vous le méritez.
Jespère quun jour, je vous retrouverai ainsi que les personnes qui ont compté pour moi.
Ce que jécris ne se suit pas vraiment, mais cest ce que je ressens sur le moment.
ISABELLE, je me permets de vous dire ISABELLE , ce nest pas par manque de respect envers vous, mais pour moi cest plus simple de vous appeler par votre prénom et non "Madame" pour exprimer tous les sentiments que jai dans le coeur. Ce nest pas juste pour une femme comme vous de terminer votre vie seule, même si cela était votre choix.
Vendredi 23 novembre
Toujours rien, vous n'êtes toujours pas revenue à Moëlan, cest de plus en plus dur cette attente, mais de quel droit je peux me plaindre, je nétais pas de votre famille.
Depuis ce triste jour où jai appris votre décès, je ne sais pas ce qui marrive ou je le sais trop bien, rien ne va plus, déjà ce nétait pas le top avant, mais alors là le moral est au plus bas, je sais que maintenant vous ne serez plus là, rien que le son de votre voix me remplissait dune joie immense.
Que je suis égoïste ! je ne pense quà moi mais vos enfants ! cest plus fort que moi de parler ainsi mais comme je lai écrit plus haut ISABELLE vous étiez une soeur pour moi.
Je dois être née sous une mauvaise étoile car à chaque fois que quelque chose de bien marrive, tout sarrête, mais il faut que je pense à ma famille, ils ont besoin de moi malgré tout. Même si je pense quen ce moment, je ne sers à rien et que je suis inutile. Jai parfois envie de vous rejoindre mais mes enfants sont là. ISABELLE vous étiez mon réconfort, mon ange gardien. Pourquoi avez-vous fait ça ?
Personne ne comprend mais je pense aussi que tout le monde vous croyait très forte et personne na pris soin de vous alors que vous en aviez besoin.
Vous qui étiez prête à aider tout le monde, peut-être quun de vos amis ou amies auraient pu vous aider, même moi à ma façon, qui sait...
Samedi, jai eu Jacqueline, votre amie, au téléphone, jai été très contente de pouvoir parler avec elle et jespère bientôt la voir afin de discuter de vous. Personne ne pourra vous remplacer, vous étiez la seule à mécouter et à me comprendre.
Je men veux car je suis égoïste, je pense plus à moi quà vos enfants qui doivent éprouver un immense vide, un chagrin que nul ne peut comprendre sauf si on a perdu sa maman comme moi, les circonstances ne sont pas les mêmes, ma mère cétait la maladie, même si c'est dur très dur, on peut laccepter mais dans vos circonstances, cest pire, une maman comme vous ne doit pas disparaître aussi tôt.
Et voilà pourquoi je nai pas le droit de rejoindre les personnes qui mont quittée, en particulier ma maman, je ne veux pas que mes propres enfants éprouvent la même peine, pardon ISABELLE, à bientôt !
Nous sommes le mercredi 28 novembre et toujours rien, jattends, nous attendons tous, lappel de Sauveur qui nous préviendra que nous pouvons enfin vous rendre un dernier hommage, cette attente est vraiment insupportable.
Le soir :
Hélène ma téléphonée ce matin, la date de la cérémonie religieuse est enfin fixée au samedi 8 décembre, à l4h30, à la chapelle Saint-Philibert à Moëlan, enfin nous allons pouvoir dire adieu à notre chère ISABELLE.
Samedi 8 décembre, l'adieu
Toutes les personnes qui vous aimaient étaient là pour vous dire au revoir dans la Chapelle de Saint-Philibert. Une très belle cérémonie a été faite en votre mémoire et elle a vraiment exprimé ce que tout le monde pensait
Vous étiez présente par une merveilleuse photo de vous, entourée de nombreuses fleurs blanches, je croyais sentir votre parfum, entendre votre voix.
Cétait très émouvant de voir votre portrait devant le petit autel et lorsque Ugo est entré dans la chapelle portant la croix, suivi dEdwina portant vos cendres, ils étaient tous les deux très dignes, cétait triste et émouvant à la fois. Vous devez être très fière de vos enfants, ils se sont montrés très forts et courageux, tout a été fait le plus simplement comme vous l'auriez souhaité.
Puis le souvenir du mariage dEdwina mest apparu, que cétait beau d'avoir vu Ugo accompagner sa soeur à lautel...
Tout le monde sest ensuite rendu au cimetière afin de vous accompagner jusquà votre dernière demeure dans l'oratoire de votre grande famille.
Je réalise enfin que tout est bien fini, que je ne vous reverrai plus jamais, mais dans mon coeur vous avez toujours votre place et elle est très grande. Et je sais que là-haut vous veillerez toujours sur les êtres que vous aimiez et qui vous aimaient. Vous avez enfin rejoint D. dans ce monde où parait-il tout est beau.
Des petites bougies sont allumées sur ma cheminée afin de vous accompagner dans léternel. Dernière question à laquelle je naurai sans doute jamais de réponse : qui a pu vous faire souffrir autant pour que vous en arriviez à un tel geste.
Cette fois-ci, je ne reviendrai plus parler à mon ordinateur, mais je sais que je pourrai parler maintenant avec des personnes que nous connaissions toutes les deux, je ne vous oublierai jamais, je vous aimais tant.
25 octobre 2002
Déjà presque un an que vous nous avez quittés, c'est aujourd'hui la date de votre naissance et je ne cesse de penser à vous, la vie nest vraiment plus la même, je narrive pas à me faire à lidée de ne plus vous voir. Je me sens dépourvue lorsque je me rends au cimetière car je ne peux pas vous déposer de fleurs... Cest triste de voir votre merveilleux visage à travers la grille. J'aimerai pouvoir entrer dans l'oratoire, vous allumer des bougies, m'y recueillir en priant pour vous.
Sylvia L.
novembre 2001 - octobre 2002
Copyright : Marie-Hélène Le Doze (tous droits réservés)
Mise en ligne le 31 octobre 2002 à Kerantorec (Sud-Bretagne)