Loin de Chandigarh,

roman, Tarun J Tejpal,
Buchet-Chastel /diff Seuil

Londres 2005, Paris, 2006, traduction : Annick Le Goyat, langue d'origine : anglais, 670 pages, prix : 25 euros


 Un monument, une jungle des villes comme une frondaison de ronces inextricables dans laquelle il faudrait tailler son chemin en défrichant à coup de machette.
Une plongée dans un univers indien débarrassé de ses clichés kitsch ésotériques, un renouvellement total pour moi, élevée dans le bain de l'Inde spirituelle. On est loin de la spiritualité mais proche du sacré par le sexe et l'écriture.

Ce livre m'a tenue en haleine un jour et demi, deux jours, pas plus, c'est-à-dire que je l'ai lu presque d'une seule traite, en me trouvant dans la journée une fatigue suffisante pour me donner l'excuse de rester au lit pour continuer ma lecture.
Cette fiche, je l'écris tout de suite, sans attendre, à la différence des autres livres que j'abats plus que je ne lis. Je lis tout trop vite ! défaut d'étudiante en droit des années 60 où la méthode Kennedy faisait écrire des manuels d'un nouveau genre sur la lecture rapide... J'y ai perdu le goût de musarder et d'apprécier le style. Pour tant la lecture m'est une drogue plus nécessaire que la télévision ou le cinéma ou le théâtre. Reste d'habitude de petite fille asthmatique qui explorait le monde en restant dans sa chambre. Les autres livres, après les avoir fermés, je les repose sur mon bureau, non loin de l'ordianteur et de ma base de données bibliographique sur File Maker Pro, jusqu'à ce qu'ils fassent des murs, érigeant ainsi une forteresse mythique entre le monde extérieur et moi.

Quand je reprends la pile pour en écrire la fiche avant de les rendre à la bibliothèque ou les rapporter à mon amie Nicole ou à ma soeur Ann'Yvonne ou à quiconque me les a prêtés, je me demande ce qu'ils m'ont laissé, n'en gardant qu'une très minime substantifique moëlle. Une atmosphère, une idée, un précepte de vie même parfois.

Celui-ci me donne envie d'écrire tout de suite. Il me parait aussi important dans ma vie d'écriture que Au-dessous du volcan de Malcolm Lawry lu l'été 1969 lors d'une très grande fatigue d'après crise d'asthme, lecture qui avait déclenché mon écriture d'Aquamarine ! (c'est le même éditeur dans les deux cas : Buchet-Chastel).

Cette fois ma fatigue vient de douleurs accumulées cette année difficile, le deuil de Samson, la déprime d'Ana, sa préparation au bac, ses inscriptions à la fac et à la résidence universitaire, ses maux dentaires, sa mauvaise humeur, la richesse de nos discussions d'art et de vie ou d'art de vie, mon voyage à Toulouse et à Villemagne, son départ final, et ma terrible dernière expérience de garde-malade bénévole auprès de Nicole...

Pourquoi je raconte tout ça en voulant parler de Loin de Chandigarh ? A cause de l'apparente incohérence dans la construction du livre, on a toujours l'impression que l'auteur digresse, qu'il s'égare en nous racontant des anecdotes, certes sabrées à grand coup de serpe là encore mais c'est tout le cheminement de la vie. Ce roman c'est la vraie vie, tout simplement. Et il atteint au style simple que je recherche depuis que j'essaie d'écrire dans mon petit coin, n'exposant sur internet qu'une infime partie de la production, presque censurée, posée, pour ne pas laisser déborder des choses trop personnelles qui engageraient mes enfants ou mes proches et qui pourraient leur déplaire ou pire leur nuire.

J'y ai trouvé une phrase dite par Syed, à qui Catherine a demandé conseil à propos de son journal intime.

"p 498 Ecris sans crainte et sans artifice, répondit-il. Ne cache rien. Ne te soucie pas de ton style. Ecris avec la conscience que ce n'est pas de la littérature, mais le matériau brut de la littérature. A partir duquel, peut-être, quelqu'un écrira un jour de la littérature."

Ouah ! c'est comme si je me parlais à moi-même... Et à la fin, on comprend tout, toutes les digressions qu'a dû accomplir le narrateur pour arriver à ça, une simple écriture de sa vie...

"Tout ce qui était écrit sincèrement vivait à jamais. Chaque mot vrai. Chaque histoire vraie. Il fallait trouver ses propres mots. Sa propre histoire.(....) Son histoire propre. Et la vivre. Et, après l'avoir vécue, l'écrire. "

J'y trouve aujourd'hui la juste nourriture de mon programme actuel, de semi-retraite. J'y trouve tout au long du livre le décor des jardins indiens et de la montagne indienne. Mais mon jardin est un décor aussi important et la plantation de mes arbres, arbustes et vivaces, une oeuvre aussi importante qui me survivra.

Il y a aussi l'importance de la maison, comme celle que je m'acharne et m'échine à reconstruire seule.
Et puis le mythe du coffre avec le manuscrit. Dans le livre, il s'agit de 64 carnets reliés cuir qi vont déterminer l'itinéraire du narrateur.
Il y a aussi, déjà dans le titre français, une extraordinaire critique des constructions géométriques abstraites en dehors de la vraie vie, Loin de Chandigarh, il y a très peu de descriptions de la ville et l'essentiel se passe en effet loin de la ville linéaire créée par Le Corbusier. Mais j'en sais plus maintenant sur cette ville que par l'article lu dans un récent Figaro sur le classement au patrimoine mondial de l'UNESCO des créations de Le Corbusier dont la ville de Chandigarh en Inde... Quand le narrateur se déplace du secteur 9 au secteur 14, je vois une ville fantôme extraterrestre...

p.182 : "Le voyage vers Chandigarh fut étrange. Nous savions que c'était véritablement le dernier. Au retour nous aurions emporté les derniers vestiges de nous-mêmes, de cette étrange cité minérale, née de la géométrie et non du besoin. Une ville bâtie avec des rapporteurs, des règles, des équerres, des compas, bien plus qu'avec de la passion, de l'émotion, de l'ardeur et de la créativité. Le Français qui l'avait édifiée en avait expurgé la sensualité accomplie de son peuple et la truculente robustesse des Indiens. Il avait construit un habitat géométrique. Seul le temps en ferait une ville. Beaucoup de temps."

L'Histoire de l'Inde avec forces et faiblesse, ses contrastes extrêmes jalonnent toute l'écriture du livre. Et si Tahun J Tejpal, comme le dit la 3ème de couverture, est un des hommes du changements de l'Inde, alors tout n'est pas perdu et il me rend confiance en l'avenir. Merci à lui. Je passe sur le fil conducteur mais j'engage tout le monde à le lire. Je me sens moi-même régénérée. Je sais que beaucoup le liront pour les descriptions savoureuses de sa sexualité, moi ça m'a rappelé de très beaux moments vécus, il y a maintenant pas mal d'années... Une épopée moderne d'un esprit libre, invulnérable, qui manifeste à travers ses deux héroïnes principales une formidable vision de la femme et de sa force. Et là j'ai retouvé le Grand Samson, mon grand homme à moi, adorateur de la Femme, érigée au rang de déesse...

L'auteur est directeur d'un journla d'investigation en Inde.

Lu le 14/11/2006

Marie-Hélène Le Doze, auteur multimedia, conseil en gestion du temps et hôtesse à Kerantorec mhledoze@free.fr

Retour à l'index des fiches de lecture




© Marie-Hélène Le Doze 1997-2007 ACD Carpe Diem