Marie-Poupée, Gauguin, Yves Samson et moi...

par Marie-Hélène Le Doze

(écrit en 1997)


J'habite ici dans ce qu'on appelle "le Pays de Gauguin". Ma chaumière est située sur "la route des peintres", entre le Pouldu et Pont-Aven, en Sud-Bretagne.


J'ai eu le bonheur de vivre mes étés d'enfance à Kerfany-les-Pins dans la maison de "Marie Poupée", en fait Marie-Jeanne Henry, qui tenait une auberge au Pouldu, dite maintenant "Maison Marie-Henry" où Gauguin a passé un an et demi en 1889 et 90 avec Meyer de Haan, Sérusier, Bernard Filiger et autres. Ensemble ils avaient décoré l'auberge, couvrant les murs, le plafond... Au-dessus de la porte, on pouvait voir l'Oie de Gauguin (maintenant au Musée de Quimper depuis mars 99). L'hôtesse, qui avait déjà une petite fille (on retrouve son visage dans beaucoup de tableaux) a eu une petite fille de Meyer de Haan, qui est mort sans l'avoir jamais su. Mère célibataire à cette époque, et deux fois de suite, c'était très révolutionnaire...

Elle a vendu son auberge du Pouldu en emportant tous les tableaux et sculptures reçus en paiement par les artistes qui avaient séjourné chez elle. Elle a fait construire une maison à Moëlan d'où elle était originaire, elle a vécu au-dessus de sa plage de Kerfany avec un philosophe, solitaire au milieu de sa collection d'oeuvres maintenant connues dans le monde entier, recevant plus tard la visite de gens qui venaient l'interroger sur ses souvenirs de l'époque de l'Ecole du Pouldu et de Pont-Aven.

Quand Gauguin est revenu de Tahiti en 1894, il lui a réclamé ses tableaux, et lui a fait un procès, qu'elle a gagné, au motif que "en matière de meubles, possession vaut titre."

J'ai beaucoup d'affinités avec Marie-Poupée qui a été très mal comprise de ses contemporains, femme libre et d'avant-garde puisqu'elle a été une des rares à garder ses oeuvres d'art avec la vigileance d'une lionne pour ses petits, à une époque où les tableaux remis par les artistes en paiement de biens de consommation de bombance ou de survivance selon les moments, finissaient dans les poulailliers ou les greniers et dont beaucoup ont disparu car non appréciés. C'est après la mort de de Gauguin qu'on a pris conscience de leur valeur. Marie-Jeanne Henry elle en connaissait la valeur, c'était son histoire intime qui y  était inscrite, l'histoire d'une femme sauvage et libre.

Elle a vendu une partie de sa collection à l'Hôtel Drouot, quand elle a quitté Kerfany en 1924 pour partir finir ses jours sur la Côte d'Azur, partageant les autres tableaux entre ses deux filles (qui les mettront en vente en 1959), emportant avec elle la Maternité de Meyer de Haan, qui ne l'a jamais quittée.

C'est mon grand-père Louis Le Doze qui avait racheté sa maison de Kerfany l'année suivante, nous y avons passé de merveilleux étés (bien plus tard dans les années 50) entre cousins, et nous étions fascinés par l'idée que cette maison avait regorgé de tableaux... Mon frère Youennick le Doze, adolescent, y avait d'ailleurs continué la tradition des dessins sur le mur, ce qui n'était pas du goût de nos tantes. Et comme ailleurs, au Pouldu, mais aussi à Malachappe près de Brigneau, les "fresques" ont été passées au blanc et effacées parfois détruites...

Encore plus tard en 1977, mon père m'a donné une partie de ce domaine derrière la plage, l'endroit où Marie-Poupée avait son potager. Il me l'a donné à moi parce qu'il disait : "tu es la Marie-Poupée de ce siècle !", je tenais une crêperie alors avec mon premier mari, une crêperie où passaient de nombreux musiciens, écrivains, cinéastes, hommes politiques, mais aussi des peintres, qui venaient dessiner ou peindre ma chaumière, je recevais souvent des tableaux en cadeaux.

Après la mort de mes parents, j'ai rencontré un peintre Yves Samson, j'ai eu avec lui ma dernière fille et c'était comme si l'histoire de Marie-Poupée recommençait un siècle après, presque au même endroit...

J'en ferai un livre. J'ai des cartons entiers de notes et documents, mais c'est trop tôt pour en parler. Beaucoup trop de souffrances et d'injustices (Yves Samson a été victime d'une contrefaçon et n'a pas encore pu faire reconnaitre sa paternité artistique) mais grandeur aussi d'assister à la construction d'une oeuvre.

Plus tard en 1994, j'ai offert le terrain de Kerfany derrière la plage à ma commune de Moëlan, pour y conserver le souvenir de Marie-Poupée : ce sont souvent des femmes dans l'ombre qui révèlent certaines lumières un peu trop fortes pour être reconnues tout de suite. Mon livre sur nos histoires parallèles s'appellera "La lumière de l'ombre".

Je pense souvent à ce que disait Gauguin : "J'aime la Bretagne, j'y trouve le sauvage, le primitif. Quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit, j'entends le son sourd, mat et puissant que je cherche en peinture. "

Marie-Hélène Le Doze
Atelier d YS Yves Samson peintre abstrait 1953-2006
Une sélection de tableaux
YVES SAMSON CREATOR-PLASTICIAN 1953-2006

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